Le premier tour des élections municipales a confirmé l’emprise des islamistes sur de nombreuses banlieues françaises. Alliés aux caïds de la drogue, ils s’infiltrent aussi bien à droite qu’à gauche pour mettre les villes sous coupe réglée.
Il y a eu une vie avant le coronavirus. Et même un premier tour d’élections municipales. Et dans ce temps d’avant, plusieurs ouvrages ont dénoncé l’utilisation du clientélisme, qu’il soit religieux, qu’il s’appuie sur la petite délinquance ou qu’il mixe les deux, comme moyen le plus efficace pour conquérir ou garder le pouvoir. Un tel clientélisme fait sombrer les villes qu’il gangrène, mais paraît assurer le pouvoir de ceux qui le pratiquent. Un certain nombre de cas emblématiques ont été étudiés : par Eve Sfeztel, dans Le Maire et les Barbares, qui décortiquait le système mis en place à Bobigny ; dans Banlieue naufragée de Didier Daeninckx, sur le système mis en place à Saint-Denis ou Aubervilliers, ou encore à travers les enquêtes réalisées par Bernard Rougier et ses étudiants sur Les Territoires conquis de l’islamisme. Dans le même temps, dans le Val-d’Oise, à Garges-lès-Gonesse ou Goussainville, notamment, on arrive à la deuxième étape des stratégies de conquête de l’islam politique, qui consiste à établir ses propres listes, une fois l’emprise sur la communauté musulmane assurée et le noyautage des sections de partis effectué. Lors de cette première étape, la tête de liste est islamiste et ses compagnons de route sont présents, mais la liste intègre aussi des candidats ayant une autre image. Puis, si la prise de pouvoir réussit, l’intégrisme suit et s’impose dans le temps. La façon dont Erdogan a pris le pouvoir en Turquie, jouant les modérés pour imposer progressivement une forme de dictature illustre à une autre échelle le même processus.
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Quand les partis n’ont rien à dire
En examinant dans quelques villes emblématiques les résultats de ce premier tour, force est de constater que le clientélisme paye. Mais il paye surtout faute de capacité à faire des propositions politiques fortes et à proposer une vision d’avenir. Quand les partis n’ont rien à dire ni au monde ni à la France, n’incarnent rien de fort et n’ont pas d’identité, ils ne peuvent rassembler les citoyens : ils n’incarnent pas l’intérêt général au nom duquel l’électeur pourrait être conduit à dépasser ses intérêts personnels. Il ne reste donc plus qu’à répondre à ses attentes. Pour toucher le maximum de monde en un minimum de temps, investir dans les groupes constitués est plus avantageux. Et quand le ciment est ethnique ou religieux, souvent satisfaire le caïd permet de passer l’accord. Mais cela a des conséquences, en particulier parce que l’un des objectifs de l’accord est de toujours fournir des emplois aux jeunes des quartiers, séides du caïd ou à ses proches.
À terme, les conséquences peuvent être dramatiques. Ainsi, à Saint-Denis, ville gangrénée par le clientélisme islamiste, ce sont 500 kilos de drogue qui ont été saisis au centre technique municipal début décembre 2018. La même histoire s’était produite à Bagnolet, également au sein du centre technique municipal, en 2013, sous le règne d’un maire communiste qui avait aussi investi sur la jeunesse entreprenante de certains quartiers. Cela lui a coûté son poste, mais le maire qui l’a remplacé se débat toujours dans des histoires de trafic de drogue qui pourrissent l’atmosphère des cités. À Voiron, où Badreddine Chokri, l’âme damnée du maire Julien Polat, est soupçonné de recruter des profils extrêmement tendancieux, même constat. Deux employés municipaux ont été mis en examen pour trafic de drogue. Les deux personnages étaient notamment en charge du local de la mairie destiné aux jeunes, dans lequel un homme a été retrouvé mort… Eh bien manifestement, cela n’est pas un problème : le maire LR de Voiron a été réélu au premier tour avec 56,7 % des voix. La mise sous coupe réglée de la ville se révèle donc une manne.
À Saint-Denis, le PCF, largement compromis avec les islamistes, essuie un échec, le maire sortant, Laurent Russier est devancé par le socialiste Mathieu Hanotin. Pas de quoi faire trembler les alliés islamistes de la mairie : directeur de campagne de Benoît Hamon, Mathieu Hanotin est très islamo-gauchisto-compatible. Il s’est souvent violemment attaqué à Manuel Valls, à cause de la conception élevée que ce dernier avait de la laïcité, et l’un de ses rares faits d’armes est d’avoir demandé la tête de Jean-Pierre Chevènement quand celui-ci était à la tête de la Fondation de l’islam de France.
Le corps électoral n’a pas le droit de savoir si les candidats sont radicalisés
La pratique clientéliste est répandue en région parisienne et dans tous les partis : autant à droite qu’à gauche, de LR au PS en passant par l’UDI et le PC. Ce qui est assez logique : le clientélisme fonctionne sur l’absence d’idées politiques puisque les voix achetées doivent pouvoir se déporter en bloc d’un côté à l’autre de l’échiquier, en fonction des accords passés. Ainsi, à Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza, LR, grand pourfendeur de l’islamisme sur les plateaux de télévision, n’a plus le même discours une fois rentré dans sa ville. Ses liens avec l’EMJF, Espérance musulmane de la jeunesse française, l’ont conduit à prêter des salles municipales où eurent lieu des prêches d’imams réputés prodjihadistes. À Aubervilliers, le PCF a joué avec le feu en passant des accords avec des activistes religieux intégrés à l’équipe municipale. Les tensions sont apparues quand Meriem Derkaoui, actuel maire, a remplacé Pascal Beaudet. Il faut dire aussi que Sofienne Karroumi, son ancien premier adjoint, ayant pu, après deux mandats, se constituer une réserve de soutien, il était temps pour lui de quitter l’organisme-hôte qu’il parasitait pour se lancer en son nom propre. S’appuyant sur l’AMA, l’Association des musulmans d’Aubervilliers, l’homme porte un islam mêlant salafisme et idéologie violente des frères musulmans. Il est arrivé en deuxième position du premier tour en rassemblant 19,09 % des voix. Cependant, le fait que la ville soit notoirement noyautée par des islamistes explique peut-être le bon résultat de la candidate de l’UDI. C’est l’inverse à Bobigny où les malheurs de l’UDI ont fait le bonheur du PCF. Dans la ville-préfecture, les liens entre les nouveaux élus et certains proches du clan des barbares ont sans doute pesé sur la campagne et le candidat de Jean-Christophe Lagarde, Christian Bartholmé, arrive en seconde position.
Autre cas de figure, celui de Garges-lès-Gonesse et de Goussainville où deux islamistes notoires avaient toutes les chances d’arriver en tête au premier tour. Abdelaziz Hamida, proche du mouvement Tabligh, mouvement à l’origine, notamment, des nombreux départs en Syrie constatés chez les jeunes de Lunel, est arrivé en tête à Goussainville. L’homme est soupçonné d’être fiché S (selon Le Point, L’Express et Le Parisien), mais les journalistes qui ont enquêté n’ont jamais pu avoir d’autre réponse du ministère de l’Intérieur que : « On n’infirme ou ne confirme jamais ce type d’information. » Le corps électoral n’a donc pas le droit de savoir si les personnes qui se présentent aux élections sont radicalisées. Ceci dit, quand on a affaire à un adepte du Tabligh, il y a peu de doute à avoir sur son rapport à la religion… En revanche, Samy Debah, le fondateur du CCIF, appartenant à la mouvance des frères musulmans, n’arrive qu’en deuxième position à Garges-lès-Gonesse, avec 34,67 % des voix. Il a pulvérisé le socialiste Hussein Mokhtari, malgré la longue histoire de ce dernier avec le territoire, mais échoué à déloger Benoît Jimenez, UDI, le dauphin du sortant, Maurice Lefèvre (DVD), maire emblématique de Garges depuis 2004. Avec 42,37 %, celui-ci tient bon, mais le score de son adversaire islamiste nous oblige à rajouter « pour le moment ».
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Autre territoire où les islamistes ont joué un jeu trouble et où le courage ne s’est pas révélé payant, Ecquevilly, dans les Yvelines. En 2016, la mosquée de la ville a été fermée dans le cadre de l’état d’urgence, sur demande de la préfecture en raison des appels à la haine et de la justification des attentats de Paris constatés lors des prêches de son imam vedette : Youssef Abou Anas. Le Conseil d’État a confirmé cette décision, estimant que l’existence des prêches de l’imam appelant « à des comportements violents, sectaires et illégaux » était avérée. La maire d’Ecquevilly, Anke Fernandes, s’est battue pour faire fermer cette salle de prière islamiste très influente dans les quartiers populaires. Pour avoir eu ce rare courage, elle a été menacée, attaquée et traînée dans la boue. Malgré son combat (ou peut-être à cause de celui-ci), elle a été battue au premier tour. Désormais, pas sûr que les artisans d’un retour en force de l’islam politique sur le terrain trouveraient quelqu’un pour leur barrer la route.
Alors, pour finir sur une touche d’espoir, parlons de Rillieux-la-Pape où le maire, qui a choisi d’affronter le réel en face et de combattre l’islamisme, a été réélu au premier tour. En politique, les convictions et le courage peuvent payer. Les gens bien ne perdent pas toujours.