Le politologue Dominique Reynié (directeur de la Fondapol) tente d’évaluer les incidences de la crise du coronavirus sur les élections municipales. Premier tour étrange, prévu dimanche.
Martin Pimentel. Les élections municipales des 15 et 22 mars prochains se présentent dans un contexte de grande inquiétude liée au coronavirus. Sans sortir votre boule de cristal, quelles répercussions du virus sur le scrutin imaginez-vous ? Un report de ces élections est-il envisageable ?
Dominique Reynié. La première répercussion qu’on peut imaginer sans spéculer exagérément, est une baisse de la participation, dans la mesure où il y a une invitation générale à ne pas trop sortir de chez soi ou à ne pas se rendre dans des lieux publics lorsque cela n’est pas indispensable. Ces consignes sont martelées matin et soir sur radios et télévisions, donc il va nécessairement y avoir un repli. Et ce qu’on observe déjà dans l’économie, on va l’observer dans la politique.
Le report des élections municipales me paraît en revanche impossible, même si l’on passait en phase 3 ou en cas de scénario à l’italienne dans les tous prochains jours. J’imagine que si on reportait le scrutin, ça ne serait pas de 15 jours, ni même de trois mois.
Reporter après la crise, alors ? Mais on ne sait même pas quand elle va finir. Je n’en sais rien, mais supposons que la crise sanitaire dure sept mois ; Est-ce que les maires retrouvent leur mandat jusqu’à cette date ? Est-ce que la campagne s’arrête ? Ou est-ce qu’elle dure sept mois supplémentaires, ce qui impliquerait de revoir les plafonds des dépenses de campagne ? Je prends des exemples extrêmes, mais tout est très compliqué dans pareille situation. On est de toute façon sûrement trop proche de l’échéance maintenant pour reporter l’élection.
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Concernant l’abstention et son influence sur les résultats, rappelons que l’abstention pèse de plus en plus sur les scrutins municipaux. En 2014, elle a atteint un record historique, avec 38,3% en moyenne ; elle a pu grimper très au-delà de 50% dans certaines municipalités, par exemple à Vaulx-en-Velin (62,1%), Roubaix (60,6%) ou Villiers-le-Bel (61,4%). Selon l’IFOP, 28% des personnes interrogées sont susceptibles de ne pas aller voter à cause du coronavirus. Donc à cause du coronavirus, nous pouvons atteindre un surcroît d’abstention problématique pour la perception même du scrutin. S’il n’y a pas de condition de participation minimale pour valider l’élection d’une équipe municipale, on a évidemment l’idée que cela peut peser négativement sur l’interprétation des résultats.
Mais surtout, l’abstention va-t-elle être préjudiciable à un camp plutôt qu’à un autre, la gauche ou la droite par exemple ? Quels mouvements politiques peuvent pâtir de cette hausse de l’abstention ? Les retraités sont ceux qui votent le plus, ils sont 23% à déclarer pouvoir s’abstenir en raison des risques liés à l’épidémie. Il est certain que s’ils ne participent pas, cela handicapera alors les Républicains et les macronistes. D’un autre côté, les électorats âgés ont tendance à reconduire les sortants. Donc quelle que soit l’étiquette, les élus qui en temps normal avaient bon espoir d’être reconduits dans leurs fonctions peuvent peut-être aussi se faire du souci. Si les électeurs âgés ne se déplacent pas, cela pourrait se faire à leur détriment. N’excluons pas enfin que jeunes et un peu moins jeunes, qui s’abstiennent déjà beaucoup, témoignent d’une sur-abstention par cette crainte du coronavirus.
Une forte abstention ne va pas arranger notre crise démocratique, alors que l’exécutif s’était justement appuyé sur la figure du maire dans le prolongement de la crise des gilets jaunes et du grand débat. Une forte abstention alimenterait une fois de plus le sentiment que le processus électoral n’a pas été parfaitement accompli. On prend cette habitude, parce qu’il y a toujours quelque chose qui au fond est sujet à controverse, soit l’offre politique, soit le contexte… Mais sur les effets plus complets, il est très difficile d’avoir une idée dans la mesure où la crise du coronavirus est en cours de gestion. On verra dimanche si un bilan est tiré par l’opinion.
Les derniers scrutins électoraux ont confirmé le Rassemblement national comme principale force d’opposition politique en France. Mais ce mouvement est mal implanté localement historiquement. Quel résultat électoral serait satisfaisant et pourrait permettre à Madame Le Pen et son parti de se proclamer « grands gagnants » dimanche soir ?
Ils vont avoir des difficultés, puisqu’ils présentent moins de candidats qu’en 2014. C’est déjà une limite à une possible progression, quoi qu’il arrive.
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Maintenant, ce qui peut leur donner des raisons de se satisfaire, ce serait d’emporter Perpignan qui serait la première ville de plus de 100 000 habitants, et parce que Louis Aliot est une des figures importantes du FN/RN. Une victoire à Perpignan et la réélection de Robert Ménard, à Béziers, produirait un effet très favorable au RN. Il faudra en revanche regarder de près la carte des résultats, afin de la comparer avec la géographie des gilets jaunes, car, en raison de la nature même de cette protestation, ce ne sont pas les listes gilets jaunes qui feront de bons scores mais les listes qui auront su réunir les électeurs épars sensibles au mouvement des gilets jaunes.
Le ministère de l’Intérieur n’a recensé qu’une dizaine de listes communautaires à ces élections. Une goutte d’eau, puisqu’il y a plus de 20 000 listes qui se présentent. S’est-on inquiété pour rien ?
Je ne trouve pas. Ce qui ne fait pas de doute, c’est qu’il y a dans notre pays un séparatisme et non pas seulement un communautarisme, comme l’a justement observé le président. C’est un processus par lequel une partie des Français musulmans considère devoir soit suivre des règles qui ne sont pas celles du pays, soit changer les règles qui y prévalent. Il y a bien un projet politique et c’est suffisamment documenté. Le Maire et les barbares, livre d’Eve Szeptel, le documente remarquablement, ainsi que le livre publié aux Presses universitaires de France sous la direction de mon collègue Bernard Rougier, Les Territoires conquis de l’islamisme, ou encore celui de Hugo Micheron, Le jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons, chez Gallimard.
Dans certaines zones du territoire français, cette population issue de l’immigration, de religion musulmane, est importante voire majoritaire. Et là, évidemment, il devient facile pour ceux qui portent un projet islamiste d’essayer de tirer un bénéfice électoral de cette situation en passant à l’étape supérieure. La République permet d’obtenir du pouvoir à travers des scrutins compétitifs.
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Et s’il n’y a que dix listes communautaires identifiées, est-ce qu’il n’y a rien à craindre du point de vue de l’entrisme ou du clientélisme sur les autres listes ?
Le projet politique séparatiste est sans doute minoritaire, mais il est hyperactif et très efficace. Nous finirons par avoir soit des listes communautaires qui l’emportent, soit des élus qui cèdent à la compromission clientéliste sur ce fondement religieux et communautariste pour tenter de conjurer le risque d’être défaits eux-mêmes. Aussi, votre argument sur le faible nombre de listes communautaires n’est pas recevable si l’on considère qu’il s’agit du début d’un processus en cours de déploiement.
UN SIMULATEUR REALISE PAR LA FONDAPOL POUR LES MUNICIPALES
Causeur. Sur le site de votre fondation vous avez mis en place un simulateur électoral qui a l’air assez ambitieux, pouvez-vous nous en dire un mot ?
D. Reynié. On propose sur le site Fondapol un nouveau simulateur électoral qui permet de savoir qui pourrait être le ou la prochain(e) maire dans toutes les communes de 1000 habitants ou plus et qui permet d’anticiper les résultats du 2nd tour. Il permet aussi de déterminer à quelles conditions de report des votes une victoire ou une défaite électorale deviennent possibles sur votre commune. C’est un outil de politologie pour tous.
Cela permet de comprendre les logiques politiques, les logiques de fusion et de transferts de voix. On voit parfois qu’à peu de choses près, un résultat peut passer.
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