À en croire la presse canadienne anglophone, le Québec serait une société intolérante, voire raciste. Ni plus, ni moins ! La raison : la Fédération de soccer (le football) du Québec (FSQ) a refusé de laisser un joueur porter so turban sikh pendant ses activités sportives. Si cette décision est fortement critiquée par l’Association canadienne de soccer, la FSQ explique que son choix est en conformité avec les règles de la Fédération internationale de football (FIFA). Des leaders de la communauté sikhe ont par ailleurs tenu à soutenir la décision de la FSQ : la demande du port du turban leur semble venir de « groupes extrémistes ». L’affaire dite du turban serait-elle le symptôme d’une société quebecquoise xénophobe ?
En réalité, la décision motivée de la FSQ et les critiques incisives qu’elle suscite coté Canada font ressortir le fossé culturel et idéologique qui sépare francophones et anglophones. Si le Canada – majoritairement anglophone – est officiellement une société multiculturelle depuis l’adoption de la Charte des droits et libertés de 1982, le Québec a, pour sa part, refusé de la signer : ouverte à la diversité culturelle, la Belle Province s’est positionnée contre le multiculturalisme.
Le multiculturalisme est une doctrine politique assurant un statut social égal aux membres de diverses cultures et favorisant l’expression de leurs particularités culturelles au sein d’un État. L’article 27 de la Charte des droits et libertés s’engage ainsi à promouvoir « le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». C’est pourquoi un recours judiciaire devant une instance fédérale donnerait vraisemblablement tort à la FSQ puisqu’au regard du multiculturalisme, le port du turban sur un terrain de sport est un droit.
Mais il existe pour autant une diversité culturelle au Québec qui témoigne de son ouverture à l’immigration et de sa tolérance à l’égard de ses multiples communautés. Pas moins d’une centaine de pays sont représentés à Montréal. En revanche, le Québec ne reconnaît pas l’égalité des statuts aux membres des diverses cultures. Mais cela n’est pas le signe d’une intolérance, que seuls des terroristes intellectuels peuvent pointer du doigt. L’immigration est en hausse constante : chaque année, le Québec ouvre ses portes à des dizaines de milliers d’immigrants. La seule contrainte qu’il leur est demandé d’accepter est d’assimiler les règles culturelles de leur nouvelle société d’accueil. La première de celles-ci étant : Ici, on jase en français !
C’est parfois au détriment de sa propre culture que la Belle Province accepte une immigration issue du monde entier. Il est donc compréhensible, sinon légitime, qu’elle s’oppose alors avec plus ou moins de fermeté (voir la crise des accommodements raisonnables en 2007) à la doctrine multiculturaliste. Le Québec est le dernier vestige d’une Amérique jadis française. C’est une petite nation au sens où l’entendait Milan Kundera[1. Dans L’Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale.], c’est-à-dire une nation « dont l’existence peut être à n’importe quel moment remise en question, qui peut disparaître et qui le sait ». Le Canada anglais n’étant pas menacé puisqu’il constitue la société majoritaire, il a dès lors pu mettre en place un tel modèle que le Québec considère dangereux pour sa survie en tant que société minoritaire en Amérique du Nord.
Ironie de l’histoire, c’est le Québécois Pierre Elliott Trudeau, ancien Premier ministre du Canada, qui a été l’architecte du multiculturalisme. L’histoire canadienne n’en est d’ailleurs pas à une ironie près. Ainsi, les symboles nationaux de l’actuelle Fédération canadienne ont été repris aux francophones. C’est Jacques Cartier qui baptisa ce nouveau monde : le Canada ; c’est le chant Ô Canada, composé par le Canadien français Calixa Lavallée qui, après avoir été traduit en anglais, sert d’hymne national ; c’est enfin la feuille d’érable, symbole par excellence de la Belle Province, qui apparaît sur le drapeau canadien.
Ceux qui ont gagné la guerre (les Britanniques) se sont appropriés les symboles culturels de ceux qui l’ont perdu (les Français) pour bâtir un nouveau pays.
*Photo : Alexandra Guerson.
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