Vingt-huit ans et déjà quatre essais. Le Québécois Jérôme Blanchet-Gravel, qui vient de publier La Face cachée du multiculturalisme aux Editions du Cerf, poursuit son travail de démolition de la bien-pensance actuelle.
Il l’avait commencé en s’attaquant aux tendances anti-occidentales et islamistes de la gauche multiculturaliste, qui embrasse sans réserve la cause palestinienne et qui, en dépit des courants intégristes de cette religion, idéalise l’islam sous la figure d’une force émancipatrice censée pouvoir contrer le capitalisme (Le nouveau triangle amoureux : gauche, islam et multiculturalisme). Son second livre, Le retour du bon sauvage. La matrice religieuse de l’écologisme, ébranlait encore la pensée dominante. Distinguant l’écologie, qui est la science de l’environnement, et l’écologisme, qui en est la dérive idéologique, l’auteur définissait le fondamentalisme écologiste en mettant en lumière son caractère apocalyptique et traditionnaliste qui le conduit à verser dans une vision apologétique des cultures primitives, considérées comme les seules aptes à sauver la planète de la crise écologique engendrée par le modèle de développement de l’Occident.
La troisième salve fut collective. Dans L’islamophobie, réalisé sous sa direction, les auteurs d’origine française et québécoise font voir sous différents angles comment les islamistes se servent de ce concept trompeur pour empêcher toute critique de l’islam et couvrir leurs menées politico-religieuses dans les sociétés occidentales.
Orientalisme et « écoromantisme »
C’est non sans une certaine logique que son dernier bébé est donc consacré au multiculturalisme. Au Canada, la notion a été érigée dans la Constitution en principe fondateur de l’identité du pays. Le multiculturalisme, ce courant idéologique qui conduit à la mise en place de politiques qui encouragent l’expression des particularités des diverses communautés et qui définissent avant tout les citoyens en fonction des groupes ethniques ou religieux auxquels ils appartiennent.
Jérôme Blanchet-Gravel l’examine non pas seulement sous l’angle sociologique ou politique, mais surtout du point de vue de l’imaginaire. Il s’attache à démonter les représentations, les mythes et les utopies sur la diversité dont le multiculturalisme imprègne l’Occident dans l’espoir de le transformer. Un multiculturalisme dont il identifie deux sources principales, chacune faisant l’objet d’une partie de l’ouvrage : l’orientalisme et l’« écoromantisme », néologisme désignant la symbiose du romantisme et de l’écologisme autour de leur fantasme commun du pouvoir rédempteur des cultures traditionnelles.
Dans la première partie sur l’orientalisme, il est question du grand rêve de refondation spirituelle de l’Occident par l’Orient qui a pris naissance au XIXe siècle et qui a été particulièrement entretenu dans la première moitié du XXe siècle par René Guénon, philosophe français converti à l’islam à la fin de sa vie. Cette fascination des cultures et des religions orientales a marqué durablement les jeunes de la contre-culture des années 1960-1970. Elle s’observe aussi par l’attraction que l’islam exerce, malgré ses dangereuses dérives, auprès des intellectuels de gauche qui s’entêtent à voir dans cette religion une civilisation phare du passé et un contrepoids au matérialisme déshumanisant de l’Occident capitaliste. Jérôme Blanchet-Gravel démontre comment l’orientalisme a transmis au multiculturalisme sa xénophilie inconditionnelle et son ouverture tout azimut à l’Autre. Les vivre-ensemblistes voient les religions étrangères comme des vecteurs incontournables d’authenticité et de régénération, ce qui explique leur rejet de la laïcité en France.
La deuxième partie nous amène à constater que le romantisme et son pendant moderne, l’écologisme, glorifient la tradition parce qu’elle serait plus pure et plus respectueuse de la nature, à l’encontre de la modernité qui, elle, serait affreusement aliénante et destructrice. Le penseur le plus radical de cette mouvance primitiviste que critique Jérôme Blanchet-Gravel est l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, gourou universitaire opposé au métissage. Comme l’indique le titre du sixième chapitre, le multiculturalisme, en s’alliant à l’écoromantisme, passe de la défense des réserves fauniques à celle des réserves identitaires.
Le multiculturalisme n’est pas un progressisme
Les sociétés traditionnelles, formes originelles de l’espèce humaine, seraient à préserver afin de conserver la diversité culturelle et religieuse de l’humanité, au même titre que l’on doit préserver toutes les espèces vivantes pour protéger la biodiversité. L’auteur dénonce cette philosophie acritique qui hypostasie la notion de diversité culturelle et qui propose une vision toute angélique et passéiste du devenir humain.
Les multiculturalistes renoncent à l’idéal républicain pour retourner au communautarisme, à la tradition et à la croyance. Contrairement aux préjugés qui circulent à son sujet, le multiculturalisme ne constitue pas un projet libéral et progressiste. Tout au contraire, il est essentiellement réactionnaire et anti-occidental, car il veut obliger l’Occident à fractionner la société en une multitude de clans emmurés dans le passé.
Ainsi que l’a écrit le sociologue Michel Maffesoli dans sa préface, « le livre de Jérôme Blanchet-Gravel donne à penser ». Et à s’inquiéter du sort de notre monde…
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