D’Alfons Mucha, on connaît surtout les affiches — affiches de théâtre pour Sarah Bernhardt, affiches publicitaires pour les cigarettes Job ou Moët & Chandon. Mais en se rendant à l’hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, notre chroniqueur a découvert un autre Mucha, que de son propre aveu il connaissait moins bien. Profitons, ce n’est pas tous les jours que Brighelli avoue ne pas complètement maîtriser quelque chose…
« Mucha, maître de l’Art Nouveau », dit l’affiche. Et dès l’entrée, on trouve ce que l’on était en droit d’attendre : de jolies jeunes femmes peintes au milieu des guirlandes de fleurs.
Mais l’artiste austro-hongrois (il est né en Moravie, l’actuelle Tchéquie, en 1860) fut aussi un nationaliste passionné, et l’exposition de l’Hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, parcourt les diverses aires d’exercice de ce peintre surdoué, et ses divers sujets de prédilection.
S’il a commencé sa carrière dans son pays natal, c’est en venant à Paris en 1887 qu’il explose véritablement.
Il vit de travaux publicitaires, et se trouve par hasard, fin décembre 1894, dans l’imprimerie qui doit réaliser l’affiche de Gismonda, le drame de Victorien Sardou où joue Sarah Bernhardt. Elle vient, il est là, elle le sollicite : c’est ce que les anciens appellent le kairos, l’art d’utiliser sa chance, qui, comme on le sait, n’a qu’un cheveu qu’il faut se dépêcher de saisir.
La star (je sais, c’est un anachronisme, mais c’est très exactement ce qu’elle est) l’engage pour six ans. Il est définitivement lancé.
Les affiches de scène de Mucha sont bien là, Médée, La Dame aux camélias, Lorenzaccio, Hamlet — toutes à la gloire de la plus grande comédienne du temps. Et, dans la foulée, les grands panneaux décoratifs sur les Arts, les Fleurs ou les Heures du jour.
La révolution industrielle aidant, il gagne aussi sa vie en dessinant des publicités, par exemple pour les papiers à cigarettes Job, le PLM, les biscuits Lefèvre-Utile ou pour Moet & Chandon.
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De façon significative, il revient à des thèmes religieux — par exemple la magnifique Vierge aux lys. Les fleurs dont il a nourri ses toiles prennent alors un sens symbolique qui l’éloigne sérieusement des joliesses de l’art Nouveau.
Mucha est parti de Moravie en emportant à la semelle de ses souliers la terre de son pays. C’est là que l’exposition dévoile des toiles peu connues, dont le thème central est l’exaltation des Slaves : il retourne en Bohème, au château de Zbiroh, et peint L’Epopée slave. La toile finale, Les Slaves au service de l’humanité, est grandiose, et s’éloigne du style décoratif auquel on voudrait réduire Mucha, qui dessine billets de banque et timbres-poste pour le tout nouvel État Tchécoslovaque.
Il s’agit alors d’une peinture réellement politique. Voir l’étonnant tableau Le Baiser de la France à la Bohème (1919), qui nous rappelle combien notre pays était lié aux nations d’Europe centrale — une très vieille amitié que quelques bombes larguées par l’armée française sur Belgrade en 1999, pour complaire aux Allemands et aux Américains, ont fait éclater en morceaux.
Lorsque les Nazis entrent à Prague, en mars 1939, ils se hâtent d’arrêter Mucha — slave et franc-maçon. La Gestapo l’interrogera trois semaines durant, ce qui n’améliorera pas sa pneumonie. Libéré, il meurt le 14 juillet. L’Église lui refuse tout enterrement chrétien, parce qu’il est franc-maçon, et il est balancé dans une fosse commune.
Restent heureusement les œuvres, que les barbares n’ont pas brûlées. Un oubli, sans doute.
Transportez-vous donc jusqu’à Aix-en-Provence, il fait beau dans le Midi, il fait chaud, l’hôtel de Caumont (rue Joseph Cabassol, à deux pas du Cours Mirabeau) est une petite merveille du XVIIIe siècle admirablement restaurée, ce sera l’occasion de flâner de façon intelligente. Et l’expo est ouverte jusqu’au 24 mars.
Catalogue Mucha, maître de l’Art Nouveau, 192 p.
Alphonse Mucha. Maître de l'Art nouveau (catalogue officiel d'exposition)
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