Il est des idoles intouchables — Hugo ou Zola sont des icônes sacrées pour la plupart des enseignants de Lettres. Peut-être est-il temps de raconter le vrai XIXe siècle littéraire, loin des idées reçues colportées par la tradition scolaire. Evelyne Pieiller vient de publier un puissant petit livre sur le sujet que notre chroniqueur a lu et aimé.
Le XIXe siècle est le siècle des révolutions : pas seulement la machine à vapeur ou le taylorisme, mais des révolutions réelles, avec barricades, tirs à balles réelles et flots de sang. À présenter les Romantiques comme une bande de jeunes gens languissants, pleurant des maîtresses trop tôt disparues (Lamartine) ou imaginaires (Nerval), on perd de vue ce qui fit l’essentiel de cette génération née entre la chute de Robespierre et celle de Napoléon : un singulier rapport au peuple — alors que le peuple est la grande invention du siècle.
Il est des périodes de grande fécondité génétique et intellectuelle. Dans un mouchoir de poche, entre les années 1797 (naissance de Vigny) et 1810 (naissance de Musset), sont arrivés une foule d’écrivains et d’artistes de tout premier plan (il y a eu une seconde floraison semblable dans les six ou sept dernières années du siècle). Balzac (1799), Hugo et Dumas (1802 — « Ce siècle avait deux ans »), George Sand (1804), Nerval (1807) — et Théophile Gautier en 1811. Une bande de copains — puis d’adversaires. Ils ont révolutionné la littérature, mais certains ont révolutionné tout court.
Prenez Dumas, qu’Evelyne Pieiller raconte dans le détail. Il est le fils d’un métis devenu général républicain, et il serait temps que les mieux pensants de mes collègues s’aperçoivent qu’il est bien plus intersectionnel que Hugo, qui fut durant la première
