On peut faire semblant de l’oublier : mais la guerre, c’est moche. Et ça tue. Le 18 août, elle a fait brutalement irruption dans la réalité politique et médiatique française, quand dix soldats sont morts dans une embuscade dans une vallée reculée d’Afghanistan. Depuis 2001, la France est présente aux côtés de contingents américains, anglais ou allemands. Une action dans un « cadre multinational », des troupes noyées dans un mille-feuille de commandements multiples. Autant dire que la France n’a pas de stratégie. Ce flottement, cette « impasse militaire totale et durable » a poussé Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération à écrire dans l’urgence Mourir pour l’Afghanistan, (Jacob-Duvernet éditeur).
Merchet ne peut guère être suspecté de ne pas aimer le drapeau et encore moins d’avoir viré antimilitariste. Il tient le blog le plus prodigieusement exotique de Libération, Secret défense, dans lequel à longueur de posts il donne la parole aux galonnés, stratèges militaires ou simples biffins en colère. L’enseigne des lieux dit bien ce qu’elle veut dire : « Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous est étranger. »
En vertu de quoi, Merchet n’aime guère qu’on se planque derrière la dignité des militaires et qu’on se drape dans l’honneur de la patrie ou qu’on radote sur le courage de nos soldats, juste pour éviter de dire clairement pourquoi nous sommes en Afghanistan. « Le soldat peut mourir, mais pas en victime de la figuration internationale », comme l’a dit François Sureau, dans un texte glaçant et sublime publié dans Le Figaro, en août dernier.
Mourir pour l’Afghanistan surprend : en effet, pour Jean-Dominique Merchet, il faut quitter l’Afghanistan et « le plus vite possible ». Au risque de laisser le pays aux Afghans, au risque de « baisser notre niveau d’exigence quant aux résultats obtenus et passer des compromis avec des gens peu recommandables », en clair les islamistes ou trafiquants. Rappelons que la justification officielle de la présence de nos soldats sur place est simple voire simplette : « nous sommes en Afghanistan pour empêcher les attentats dans le métro à Paris », lui explique un responsable militaire Français. Refrain repris en cœur par l’inénarrable ministre de la Défense, Hervé Morin.
Un conte de fées auquel Merchet ne croit pas : si les militaires occidentaux sont là bas pour détruire les « sanctuaires » où se planquent les djihhadistes d’Al-Qaida, qui ensuite visent des tours avec des 747 ou transforment des palaces indiens en Fort Chabrol, autant dire que les Occidentaux font mal leur boulot. En sept ans d’opérations militaires, une seule partie dudit sanctuaire est ratissée. Et personne surtout ne se hasarde à aller gratter du côté pakistanais de la frontière, là ou manifestement on se cache. « Nous luttons contre le terrorisme en Afghanistan, mais nous nous arrêtons à la frontière », rigole Jean-Dominique Merchet. Résultat, non seulement Mollah Omar peut continuer à fuir à mobylette et Ben Laden à menacer la terre entière dans des vidéos collectors, mais en plus la Coalition offre sur un plateau des cibles de choix aux terroristes en la personne de ses vaillants soldats professionnels. Une aubaine pour des terroristes biberonnés à CNN et à Youtube, qui sentent bien que dix militaires tués, dans un petit pays comme la France peuvent déclencher un bordel politique monstre. Surtout quand le Président de la République se précipite sur place et que le ministre de la Défense est suffisamment stupide pour essayer de faire croire que nos « soldats ne sont pas là bas pour faire la guerre, mais pour faire la paix. »
Merchet s’agace aussi du manque de moyens dont disposent les militaires français et narre, par exemple un épisode qui pourrait être comique, la bataille des armées pour obtenir des « tourelleaux téléopérés ». Un truc qui, en gros, permet de tirer sur l’ennemi sans avoir à faire le mariole sur le capot des véhicules blindés, à portée de lance-pierre des talibans. Jean-Dominique Merchet en reste songeur : « Lorsqu’on se penche sur la manière dont fonctionnent conrètement les armements, on se demande parfois si les états-majors ont envisagé, ne serait-ce qu’un seul jour qu’ils puissent être employés à la guerre. La vraie, celle ou l’ennemi n’est pas toujours animé des meilleurs intentions. »
La fin, on la connaît : il est probable que, dans quelques mois ou dans quelques années, il se trouvera un ministre Français pour dire : « Le départ de nos troupes n’est pas une défaite. L’armée est en excellente condition et le moral est élevé. C’est un départ organisé d’un pays que nous n’avions pas l’intention d’occuper. » Il suffira aux officiels français de copier-coller cette déclaration signée des responsables soviétiques en Afghanistan. Entre experts en déculotée, on devrait se comprendre.
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