Dans le Paris de Mmes Hidalgo et Dati, sous peine d’être relégués au rang de simples attractions touristiques, les cabarets sont priés d’être « engagés ».
Dans la nuit du 24 au 25 avril, le Moulin Rouge a perdu ses ailes. Bien qu’il soit charmant de les imaginer s’envoler, celles-ci semblent plutôt être tombées et cela n’est pas passé inaperçu. À l’émotion toute légitime des passants et habitants du XVIIIe arrondissement, se sont rapidement ajoutés déclarations officielles et articles de presse. Cela a de quoi surprendre.
Folklore tricolore
De prime abord, le sujet semble en effet un non-événement puisqu’aucun blessé n’est à déplorer et les conséquences matérielles pour l’établissement sont, aux dires de celui-ci, quasiment inexistantes : l’activité n’a pas souffert et aucune représentation n’a dû être déprogrammée. Il semble donc s’agir d’un fait purement symbolique. La réaction de la ministre de la culture Rachida Dati va dans ce sens puisqu’elle évoque un « symbole de Paris » et parle d’une « émotion particulière pour le monde du spectacle » avant d’assurer ses followers sur le réseau social X de son attachement au patrimoine français et de son engagement pour la protection de celui-ci.
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Quel bonheur de voir enfin reconnus les cabarets et leurs revues comme éléments majeurs du patrimoine et tout particulièrement du folklore parisien ! Il faudrait cependant rappeler à Mme Dati que le Moulin Rouge n’est pas encore un musée, ou un simple bâtiment emblématique, symbole d’une époque révolue, mais bien une entreprise privée qui va, à n’en pas douter, gérer seule et efficacement les soucis techniques ayant entraîné la chute des pales du fameux moulin. En revanche, a-t-on souvenir d’un quelconque épanchement du gouvernement lorsque le Lido a fermé définitivement ses portes en 2022 après 76 ans d’existence, ou lorsque les Folies Bergère ont été contraintes de revoir complètement leurs revues sous peine de subir le même sort ? Ces cabarets n’étaient-ils pas eux aussi des symboles de Paris et des éléments du patrimoine ? Ne méritaient-ils pas a minima d’être soutenus ou de faire l’objet de tentatives de sauvegarde ?
Mauvaise cible
Le silence politique fut malheureusement le même lorsqu’entre 2010 et 2020, ces mêmes établissements furent régulièrement décriés par des organisations féministes qui, ignorant vraisemblablement que le French-Cancan était à l’origine une danse subversive et engagée, n’y voyaient que des temples de l’objectification des femmes et de la domination patriarcale. L’apogée de cette absurde cabale a été atteint en 2014 lorsque des membres du groupuscule Femen ont choisi le toit du Moulin Rouge pour y « dénoncer l’industrie du sexe » avant d’en repartir quelque peu dépitées : la direction les avait informées que leurs danseuses étaient toutes des professionnelles sous contrat. Le Figaro titre alors à l’époque qu’elles se sont « trompées de cible ».
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Certains cabarets parisiens semblent pourtant non seulement échapper à la vindicte wokiste mais être régulièrement encensés par ces mêmes détracteurs. Le magazine Causette publie en 2022 un élogieux article intitulé « Sous les paillettes, la rage » sur le cabaret Madame Arthur. La journaliste s’y extasie devant les paroles des chansons explicitement engagées contre le patriarcat, l’hétéro-sexisme ou encore les violences policières. Inutile de chercher un lien : mettons tout cela pêle-mêle dans le même panier et recouvrons-le grossièrement de strass. Qu’importe le talent, pourvu qu’on ait la hardiesse ! Il n’est fait mention du Moulin Rouge ou du Crazy Horse que pour les qualifier de « spectacles millimétrés », comprenez sans âme et parfaitement has-been. On comprend alors que ce n’est pas tant le format cabaret qui est remis en cause que son étiquette frivole, de pur divertissement. Même la performance artistique ne semble pas peser lourd dans la balance. Il s’agit de séparer le bon grain de l’ivraie. Désormais le cabaret doit être politique, engagé, sous peine d’être relégué au rang de simple attraction touristique.
Le « paysage urbain » doit à tout prix être de nouveau présentable pour les JO
Dans ce climat délétère à l’égard des cabarets dits traditionnels, l’émotion des politiques et les moyens publics mis en œuvre pour que le Moulin Rouge retrouve rapidement ses ailes nous paraissent d’autant plus suspects. Souvenons-nous alors que le Moulin Rouge est le monument le plus photographié par les touristes étrangers après la Tour Eiffel. La touchante mobilisation de nos politiques ne serait-elle pas grandement influencée par l’imminence des Jeux Olympiques et les millions de touristes qu’ils draineront dans les rues parisiennes cet été ? On imagine aisément que les photos du Moulin Rouge sans ailes faisant le tour du monde soient de nature à filer des sueurs froides à la Maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a ainsi annoncé dès le lendemain du drame : « Nous serons aux côtés de l’établissement pour les aider à faire en sorte qu’on puisse retrouver notre paysage urbain avec le Moulin Rouge qui est très important pour nous ». « Nos équipes sont déjà en contact pour leur offrir cette aide technique et matérielle pour qu’ils puissent rayonner à nouveau et que les ailes du moulin puissent continuer à tourner », a précisé l’élue. Qu’importent l’insécurité et la saleté des rues parisiennes, pourvu que les touristes puissent avoir leur selfie devant le mythique cabaret ! Jamais les paillettes n’auront autant servi de poudre aux yeux.
Nous y avons cru mais, hélas, il semble que ce ne soit ni la nostalgie du Paris de Toulouse-Lautrec, ni l’attachement au patrimoine culturel français qui motivent les réactions politiques. Seule compte l’image de Paris, tout du moins ce qu’il en reste, au regard du monde. Que les politiques se rassurent : seuls quelques mois nous séparent du début des jeux et si ce laps de temps semble largement suffisant pour que le Moulin Rouge retrouve ses ailes, redonner au Champ de Mars des allures autres qu’un champ de bataille devrait davantage leur donner du grain à moudre.
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