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Moubarak joue sa tête


Aujourd’hui, le juge Ahmed Refaat lira la décision du tribunal à l’issue du procès intenté à Hosni Moubarak, l’homme qui a gouverné l’Egypte pendant plus de trente ans. L’ancien président, son ministre de l’Intérieur Habib el-Adli ainsi que six hauts fonctionnaires sont accusés d’être responsables de la mort de manifestants pendant la répression violente des 18 jours de soulèvement qui ont conduit à la chute du régime. Hosni Moubarak est également inculpé pour corruption avec ses deux fils, Alaa et Gamal, et l’homme d’affaires Hussein Salem. Selon l’accusation, le raïs déchu aurait reçu de Salem des villas à Charm-el-Cheikh en contrepartie de la vente de terrains appartenant à l’État pour un prix inférieur à celui du marché. Les deux hommes sont également impliqués dans une affaire de corruption autrement plus sensible et médiatisée : selon le procureur, ils auraient « dilapidé des fonds publics » dans un contrat de vente de gaz égyptien à Israël, marché que Moubarak avait attribué à la société de Salem.

Le procès a commencé par le témoignage de plus de 1600 personnes, pour la plupart policiers ou témoins oculaires des événements. Les déclarations les plus accablantes pour l’ancien président égyptien auront été celles d’officiers ayant assisté à une réunion au cours de laquelle le ministre el-Adli aurait donné l’ordre d’utiliser « un maximum de force » dans la répression des manifestations. D’autres témoins ont affirmé avoir vu des policiers recevoir des armes à feu peu avant la mort par balles de plusieurs manifestants.

En revanche, dans certains cas, des témoins de l’accusation ont révisé leur version des faits devant la cour, niant avoir observé des actes illégaux. Au moins l’un d’entre eux a été poursuivi pour faux témoignage. Ces incidents ont semé le doute sur la façon dont les premiers interrogatoires ont été conduits. Le ministère public a aggravé ce doute en expliquant au tribunal que les différentes administrations concernées avaient rechigné à coopérer avec les enquêteurs. Un officier vient en effet d’écoper de deux ans de réclusion criminelle pour destruction de preuves…

Mais l’un des moments-clés du procès a sans doute été l’audition du maréchal Tantaoui, chef du conseil suprême des forces armées et chef d’Etat par interim depuis la chute de Moubarak, suivie des témoignages du chef d’état-major des armées le général Sami Anan, de l’ancien chef des services de renseignement, le général Omar Suleiman et de l’ancien ministre de l’Intérieur Mansour Essaoui. Tous devaient apporter les preuves irréfutables de la culpabilité de Moubarak. La déception aura été à la hauteur des attentes du public. Ainsi, le maréchal Tantaoui a catégoriquement nié que Moubarak ait ordonné à l’armée d’ouvrir le feu sur les manifestants, contredisant les témoignages qui affirmaient que le conseil suprême des forces armées avait refusé d’exécuter les ordres présidentiels…

Ainsi, au-delà de la dimension politique du procès, le tribunal se trouve devant un dilemme juridique : le procureur a requis la peine de mort contre Moubarak mais n’a finalement pas pu fournir les preuves matérielles de sa culpabilité. Non seulement aucun témoin n’a rapporté avoir directement reçu l’ordre de tirer sur la foule de la part de l’ancien président, mais nul document sonore ou écrit n’en apporte la preuve. Encore plus troublant, les procès contre les policiers accusés d’avoir tiré sur les manifestants se sont le plus souvent soldés par des acquittements ou des condamnations symboliques. Dans bon nombre de cas, le tribunal a reconnu que les policiers avaient ouvert le feu en état de légitime défense, un comble pour les familles et les amis des « martyrs de la révolution ».

Le seul fonctionnaire de police condamné à mort a vu sa sentence commuée après appel à une peine de cinq ans de prison. Les preuves, déjà faibles en bas de l’échelle sécuritaire, s’amoindrissent à mesure que l’on remonte la chaîne de commandement, jusqu’au raïs et son entourage.

Tous ces éléments ont largement facilité la tâche de la défense, dirigée par l’avocat Farid al-Dib. Pour Maître al-Dib, les preuves contre son client sont insuffisantes pour le condamner. Or, comme on le sait, la dimension juridique n’est pas le seul ressort de ce procès. Pour le juge Reffat, président du tribunal, il s’agit de la dernière affaire de sa carrière avant son départ à la retraite en juin. Cela pourrait lui donner une certaine indépendance; aussi l’on ne saurait préjuger de sa décision malgré l’avis général des experts qui jugent le dossier de l’accusation trop faible pour pouvoir envoyer Moubarak à l’échafaud.

Mais le volet corruption du dossier de l’accusation reste solide et fait encourir jusqu’à 15 ans de prison à l’ancien président. Que ce soit dans quelques jours, quelques mois ou quelques années, Hosni Moubarak, gravement malade, ne sortira donc de prison que dans un cercueil.

 
*Photo : Maggie Osama



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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