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Mort d’Arafat : le poison de la rumeur


Yasser Arafat a constamment menti sur son lieu de naissance, qu’il prétendait être Jérusalem alors qu’il vit le jour en 1929 dans la banlieue du Caire. Les circonstances de sa mort donnent donc lieu à toutes sortes de supputations à noyau complotiste, caractéristiques des relations fantaisistes que son entourage entretient avec la vérité. Dès le lendemain de son décès, le 11 novembre 2004, de nombreux dirigeants palestiniens se déclaraient convaincus que le « Raïs » n’était pas mort de mort naturelle… ils avaient les preuves, bien sûr. Cette théorie déclinable en de multiples variantes − mais dans laquelle les coupables présumés sont toujours, cela va de soi, les dirigeants israéliens de l’époque, Ariel Sharon en tête − fut immédiatement adoptée par la majorité de l’opinion palestinienne et arabe.[access capability= »lire_inedits »] Les mieux placés pour confirmer ou infirmer ces allégations, les médecins de l’hôpital militaire Percy de Clamart, sont, jusqu’à aujourd’hui, restés silencieux à leur propos.

L’affaire vient d’être relancée avec la diffusion, sur la chaîne qatarie Al-Jazira, d’un « documentaire » affirmant que Yasser Arafat aurait été empoisonné par l’absorption de polonium, un métalloïde radioactif hautement toxique utilisé en 2006 par les services spéciaux russes pour assassiner Alexandre Litvinenko, opposant à Vladimir Poutine réfugié à Londres.

Les « révélations » d’Al-Jazira ont été largement reprises dans la presse française, mais rares sont les médias qui se sont livrés à une analyse critique de la thèse véhiculée par ce documentaire. Au contraire, certains experts autoproclamés des dessous de la politique moyen-orientale, comme le journaliste du Figaro Georges Malbrunot ou l’auteur de romans policiers à succès Gérard de Villiers accréditent la rumeur[1. « Mort de Yasser Arafat : les services secrets israéliens, suspect numéro 1 ? », Gérard de Villiers, Atlantico, 6 juillet 2012. Voir également le blog de Georges Malbrunot.]. Le premier s’appuie sur des informations fournies par un officier de la DGSE, bien entendu anonyme ; quant au second, il proclame que les Israéliens ont toujours confondu politique étrangère et crime d’État − ce qui l’accrédite comme analyste objectif. Ces deux personnages ont, tout au long de leur carrière, intimement fréquenté les services spéciaux des divers potentats arabes de la région, qui n’ont pas manqué de les instrumentaliser dans la guerre de désinformation qu’ils mènent contre l’État juif.

L’assassinat politique, ou « élimination ciblée » des responsables du terrorisme anti-israélien a, certes, toujours fait partie des moyens utilisés, avec plus ou moins de bonheur, par Israël et ses services spéciaux pour maintenir sa capacité de dissuasion. Le poison a aussi été utilisé, notamment dans la tentative d’élimination du chef du Hamas, Khaled Mechaal, par le Mossad[2. En août 1999, Khaled Mechaal avait été victime en Jordanie d’une tentative d’empoisonnement avec une substance indétectable, provoquant une crise cardiaque. Il avait senti une piqure lors d’une bousculade dans la rue. Les agents du Mossad avaient été arrêtés par la police jordanienne, et les Israéliens avaient été contraints de fournir un antidote au poison injecté.].

Mais cela ne suffit pas pour leur faire porter le chapeau de la mort de Yasser Arafat. Depuis 2002, le chef de l’Autorité palestinienne, tenu par les Israéliens pour responsable des attentats terroristes perpétrés après le déclenchement de la seconde Intifada, en octobre 2000, était assiégé dans les locaux de sa présidence à Ramallah. Son confinement à la Moukata’a et son isolement diplomatique faisaient l’objet d’un accord entre Ariel Sharon et le président américain George W. Bush, ce dernier n’ayant guère apprécié qu’Arafat lui eût effrontément menti à propos de l’affaire du Karin A[3. Le Karin A était un bateau affrété par des proches d’Arafat pour livrer une cargaison d’armes iraniennes au Hezbollah libanais, en contravention avec les accords d’Oslo. Il avait été arraisonné en janvier 2002 par la marine israélienne.]. Cependant, cet accord tacite stipulait également qu’il ne serait pas porté atteinte à la vie du fondateur de l’OLP, ce qui aurait pu enflammer encore plus le Proche et le Moyen-Orient. Ariel Sharon ne portait certes pas Arafat dans son cœur et avait toujours regretté de ne pas avoir pressé la détente de son arme lorsqu’il l’avait dans son viseur, en 1982, lors de son départ de Beyrouth. Quoi que l’on pense de Sharon, on doit lui reconnaître un comportement rationnel dans la gestion des crises politiques et militaires. Ce n’est pas un homme d’impulsions passionnelles, mais de froide raison. Quand il décidait l’élimination d’un ennemi, c’était pour montrer sa capacité à frapper n’importe où, et il faisait en sorte que cela se sût. Entre 2002 et 2004, un Arafat affaibli était plus utile à sa stratégie qu’un Arafat assassiné. C’est ainsi qu’il obtint de George W. Bush la fameuse lettre de mai 2004, dans laquelle le président des États-Unis affirmait que les frontières d’un futur État palestinien devraient tenir compte des changements intervenus sur le terrain depuis 1967, donc accorder à l’État hébreu les principaux blocs d’implantations situés au-delà de la ligne d’armistice de 1949, dite « Ligne verte ». On ne voit donc pas l’intérêt qu’il aurait eu à faire envoyer ad patres un leader palestinien dont le pouvoir de nuisance était considérablement diminué. Voilà pour le contexte politique au moment de sa disparition.

L’enquête d’Al-Jazira est-elle de nature à faire surgir une vérité sur des causes de la mort de Yasser Arafat qui auraient été dissimulées ? Un laboratoire de Lausanne, en Suisse − donc politiquement insoupçonnable −, a découvert, sur des pièces de vêtements restitués à son épouse, Souha Arafat, que les fluides corporels du défunt contenaient une dose suspecte de polonium. Dont acte. Mais comment expliquer que Souha Arafat ait attendu plus de sept ans avant de faire analyser ces objets qui lui ont été remis par les responsables de l’hôpital militaire Percy alors que, déjà, des accusations d’empoisonnement circulaient. Comment prouver que les traces de polonium n’ont pas été ajoutées a posteriori sur les vêtements ? Enfin, pourquoi les responsables palestiniens qui propagent aujourd’hui l’accusation contre Israël n’ont-ils pas, lors de la mort de leur leader, fait procéder, dès la réception de la dépouille du défunt, à une autopsie qui aurait démontré, de manière indiscutable, la cause de ce décès ? Il faut ajouter que tous les bons connaisseurs des services spéciaux israéliens s’accordent pour estimer que le polonium est un poison trop grossier (facilement détectable, provoquant des symptômes sans équivoque) alors qu’il existe des substances létales beaucoup plus discrètes.

Si la polémique resurgit aujourd’hui, la véritable raison en est à rechercher dans la guerre larvée qui oppose ce qui reste du clan de l’ancien chef de l’OLP aux actuels dirigeants de l’Autorité palestinienne. Durant l’agonie du « Raïs », on se déchirait en coulisses pour se partager le magot accumulé par Arafat. Souha Arafat était assistée dans cette querelle par un homme d’affaire chrétien libanais, Pierre Rizk, qui a réussi à obtenir pour elle une somme évaluée à 9 millions d’euros. Le conseiller financier d’Arafat, Mohamed Rachid, vient d’être condamné par contumace à quinze ans de prison pour détournement de fonds par un tribunal de Ramallah. De son exil londonien, il réplique en accusant Mahmoud Abbas d’avoir ouvert des comptes secrets en Jordanie, gros de 39 millions de dollars, auxquels seuls lui et ses proches auraient accès. Si, en plus, on arrive à faire passer dans l’opinion l’idée que le pouvoir de Ramallah est complice d’une dissimulation des preuves d’empoisonnement, ce sont autant de points pour le clan Arafat.

La Ligue arabe s’est mise en mouvement pour demander une enquête internationale sur cette affaire. L’Autorité palestinienne a accepté que le corps d’Arafat soit exhumé à des fins d’analyse. Ceux qui aiment les paris ne devraient pas hésiter à miser sur la réfutation, par un groupe de scientifiques choisis par Mahmoud Abbas, des thèses avancées dans le documentaire d’Al-Jazira. On pourrait, chez nous, exiger que le nouveau pouvoir lève le secret-défense et le secret médical auxquels sont soumis les toubibs de Clamart, seuls à connaître le fin mot de l’histoire. La vérité y trouverait son compte. Mais qu’on se rassure : cela ne changerait pas d’un iota les convictions de ceux qui croient que Yasser Arafat est mort en martyr de la cause palestinienne.[/access]

*Photo : delayed gratification

Juillet-août 2012 . N°49 50

Article extrait du Magazine Causeur



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