Tiens, un qui aime prendre des risques, ces jours-ci, c’est Gérard Mordillat. Un risque, mais un risque énaurme ! Il déclare à qui veut l’entendre, sur le site Bibliobs, que, si lui est attribué le prix littéraire du roman d’entreprise, il ne serrera pas la main de Xavier Darcos. Allons bon. Mordillat, au départ, voulait sans doute ne pas serrer la main de Mussolini, ou celle d’Hitler, de Pinochet encore. Mais il s’est vite rendu compte que ce n’était plus possible. D’aucuns rapportent en effet que tous ces brillants personnages sont morts. C’est pas de veine. On a la rebellitude qu’on peut, en somme. Et puis, chacun sait bien que Darcos, au fond, c’est un grand méchant homme. Qu’il fait partie d’un gouvernement « qui s’enorgueillit d’avoir un ministère du racisme et de la xénophobie » ; un gouvernement « qui développe une philosophie facho-libérale ». C’est Mordillat qui le dit. Et Mordillat, il a forcément raison.
Qu’on se souvienne : Corpus Christi. A longueur de soirée sur Arte, jadis, et puis en cassettes, et puis en dvd, et puis en livres ; et puis à nouveau en livres, en dvd, en cassettes, à plein rayons, à la Fnac. Enfin. Avec son compère Prieur, il nous l’a enseignée, cette évidence que l’histoire du christianisme, c’était celle de la longue, l’interminable trahison du message originel de Jésus ; il nous l’a mise sous les yeux, à nous qui ne voulions pas la voir, cette autre vérité que la même histoire du christianisme, c’était celle de l’antisémitisme. Essentiellement. Et quand il faut, à l’occasion, il en remet une couche, Mordillat, il n’est pas avare de sa vérité, en somme. Tenez, je m’en souviens, dans l’émission « Répliques » du 28 mars 2009. Devant Finkielkraut, devant Jean-Marie Salamito, lequel se présentait avec une réfutation savante des thèses de Mordillat, ce dernier hurlait dans nos oreilles matinales que le martyre chrétien, eh bien, c’était la même chose que le martyre des intégristes musulmans qui se font sauter en plein marché, dans un avion, ou encore dans un train. Salamito et Finkielkraut, d’une voix calme, avaient beau lui rappeler cette apparente évidence qu’il y a un fossé entre le martyr qui sacrifie sa propre vie – le martyr dont d’ailleurs ce furent les persécuteurs qui sacrifiaient bien souvent la vie – et celui qui se tue lui-même pour tuer le plus d’innocents possibles, eh bien non, Mordillat n’en démordillait pas : pareil, vous dis-je. Et non seulement, tout ça est la même chose, pensait-il, mais il y avait plus grave : le martyre musulman était un rejeton du martyre chrétien. Dans l’évangile selon Mordillat, si les barbus se font sauter, façon puzzle, sur les marchés, eh bien ce sont encore les chrétiens qui en ont la paternité. La vérité qui sort de la bouche de Mordillat, ça ne se négocie pas.
On conseillerait bien à Mordillat de relire un peu René Girard, par exemple, et notamment de méditer cette phrase, extraite de Achever Clausewitz : « Les attentats-suicides sont de ce point de vue une inversion monstrueuse des sacrifices primitifs : au lieu de tuer des victimes pour en sauver d’autres, les terroristes se tuent pour en tuer d’autres. C’est plus que jamais un monde à l’envers. » Mais à quoi bon, en somme : Girard, vu qu’il est chrétien, il ne peut pas être objectif ; et puis, si ça se trouve, il est même islamophobe, c’est la saison.
Tiens, si l’on me demandait de composer le manuel L’Objectivité pour les Nuls, je commencerais par écrire, noir sur blanc, que être objectif, aujourd’hui, n’est possible que si l’on est athée. Et franchement. Pas mollement athée, pas agnostique, non. Furieusement. Mais ce serait une fureur d’une autre sorte que la vulgaire fureur qui nous rend vindicatif, méchant. Car si un athée pouvait être vindicatif, ça se saurait.
La rebellitude est d’abord affaire de vocabulaire. Il y a des mots qui font mouche, en toute saison. Mordillat les connaît, lui. En quatre phrases, tenez, il a prononcé l’essentiel ; il a lancé bien haut les mots « racisme », « xénophobie », qui vous posent là un rebelle. Mais la panoplie verbale serait incomplète sans les termes « fasciste » ou « libéral ». Le mieux, bien sûr, si on est assez exercé, c’est de combiner les termes par deux ; par exemple, dites « facho-libéral » et tout ira bien. Je déconseille néanmoins l’usage du mot « nazi », qui demande un long entraînement, qui exposera les rebelles novices à des revers, par exemple, judiciaires. Non, facho suffira, la panoplie vous ira bien.
Mais la maîtrise du vocabulaire serait incomplète sans la pose, la pose. Lorsque vous prononcerez les mots adéquats cités plus haut, placez la main droite sur votre cœur et lancez bien haut une phrase comme celle que lance Mordillat, dans son article, une phrase de ce genre : « cette politique, tout en moi la réprouve, tout en moi la combat. » Voilà, vous y êtes.
A ce propos, je suggère de créer un prix de la rebellitude. C’est un exercice à la mode. Mais vu le nombre de rebelles de salon qui se présentent, il serait dommage que le prix soit annuel ; il faudrait un prix quotidien. Le rebelle du jour, on appellerait ça. Pour les rebelles aguerris, les rebelles de longue date, tels que Mordillat, il faudrait une sorte de légion d’honneur, spéciale. On murmure, du côté de l’Elysée, que Gérard serait en passe de l’avoir. Seulement, on lui demande, en haut lieu, encore un grade en rebellitude. Après avoir dézingué le christianisme, avec Corpus Christi, notre gouvernement lui demande de faire la même chose avec l’islam. Et il lui souhaite bon courage, à Mordillat.
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