Permis d’écrire


Permis d’écrire

auto nimier morand

Zones à 30 km/h, expérimentations à 80 km/h sur les Nationales, voudrait-on tuer la littérature française ? Je me suis demandé pourquoi les romans de la dernière rentrée de janvier m’ennuyaient. Mettons de côté leur absence de style, la wikipédiatisation de l’écriture n’est pas tellement nouvelle, non, il y a quelque chose de plus profond qui a déclenché mon agueusie littéraire. Ce manque de rythme, ces phrases mollassonnes qui se traînent sur la bande d’arrêt d’urgence, ces mots qui déraillent ensemble, ces auteurs sont tombés en panne sèche ! Ils conduisent leur histoire en sous-régime, sans éclat, comme s’ils rédigeaient un constat à l’amiable. Leur moteur créatif est encrassé. Prière de passer au garage. Les mêmes poncifs qui se répètent, les mêmes règlements de comptes à l’huile de ricin : papa buvait, maman se droguait, tonton était collabo et pépé piquait dans la caisse. D’envolées lyriques, point à l’horizon. De dépassements héroïques, vous n’y pensez pas, monsieur, et le principe de précaution, vous en faites quoi ?

Que du lourd, du pathos sous cloche, de l’air vicié, l’esprit de sérieux a emporté définitivement le monde des lettres. Une seule explication à mes troubles de lecture : l’auteur du XXIème siècle est devenu un sinistre piéton. Pas l’un de ces marcheurs mélancoliques à la Léon-Paul Fargue ou l’un de ces boucaniers des banlieues à la manière d’un André Hardellet, un simple usager du macadam qui ressasse ses petits malheurs et encombre les librairies.

L’automobile, ce vieux concept hérité de la Révolution industrielle, a disparu des livres d’histoire. Les ringards du talon-pointe, les nostalgiques de l’overdrive, les accros du klaxon trois tons relégués au musée des horreurs. Pollueurs en puissance, machistes et compagnie. Depuis que nos chers écrivains ne prennent plus le volant, leur prose a tendance à s’embourber. Pour qu’ils retrouvent un peu de vitesse, de fougue, d’accélérations vitales, je conseille à ces intellectuels à pinces de (re)lire Roger Nimier*. Si le chef des Hussards aimait tellement les mécaniques de précision, c’était par défoulement, ironie et défi. Ses romans légers et corrosifs tiennent encore la route cinquante-trois ans après son tragique accident. Combien de grands écrivains ont nourri une passion exclusive pour les automobiles racées, objets de désir inavouables et parfois incontrôlables.

L’Art y gagnait ce que la sécurité routière perdait. Ne cherchez pas plus loin l’origine du succès de Françoise Sagan. Sa petite musique bourgeoise et amère, elle l’a peaufinée en écoutant le six cylindres de sa Jaguar XK. Bercée par les emballements de son anglaise, elle a débridé les femmes de sa génération. Paul Morand, l’homme pressé du XXème siècle, styliste par essence, n’aurait pu accomplir son œuvre sans l’aide de ses cathédrales d’acier. Bugatti, Mercedes-Benz 300 SL et autres Porsche Carrera l’ont accompagné dans sa frénésie de voyages à travers l’Europe galante. Et que dire du communiste Roger Vailland et son aristocratique Jaguar MkII, de Jacques Laurent et ses longues décapotables, de Jean d’Ormesson et son inamovible cabriolet SL, de Frédéric Dard et sa Maserati, de François Nourissier et sa BMW 528 et même de Patrick Modiano, un Prix Nobel qui n’a jamais hésité à peupler son paysage urbain de mystérieuses américaines. Alors, chers auteurs pédestres, qu’attendez-vous pour passer votre permis de conduire ?  Vos romans vont prendre une autre dimension.

Correspondance 1950-1962 – Paul Morand/Roger Nimier – NRF Gallimard.

Correspondance: (1950-1962)

Price: 34,00 €

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Les Grandes Personnes – un film de Jean Valère d’après le roman de Roger Nimier avec Jean Seberg, Micheline Presle et Maurice Ronet – DVD Gaumont.

 



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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