Une seule chose est légalement exigible de nos élus : c’est le respect de la loi. C’est de ne pas faire ce qui est interdit par la loi et par le droit positif. Pas d’être moralement infaillibles.
La loi distingue le permis de l’interdit, alors que la morale distingue le bien du mal. C’est plus qu’une nuance. La loi et le droit sont des données positives et objectives, alors que le jugement moral est l’affaire des consciences, qui sont subjectives et diverses. Il y a évidemment un rapport entre les deux : la loi et le droit doivent interdire ce qui est jugé collectivement comme un mal à ne pas tolérer.
Mais la confusion entre les deux est le pire des dangers pour la démocratie. La preuve en est donnée par la Terreur qui remplaça le règne du droit par celui de la Vertu.
La distinction entre le droit, la morale et la politique, c’est la base même de l’État de droit
Voici d’ailleurs un exemple incontestable en sens inverse prouvant que la morale n’est pas le droit ; les gens moralement bien intentionnés qui aident de façon bénévole les clandestins pour des raisons humanitaires sont moralement impeccables, et ils sont néanmoins fautifs au regard de la loi. La distinction entre le droit, la morale et la politique, c’est la base même de la démocratie moderne et de l’État de droit. C’est pourquoi il est bon d’avoir abandonné la formulation « moralisation de la vie publique ».
Cette distinction n’empêche pas que nous restions forcément tiraillés entre des exigences légitimes et de sens opposés.
Du côté de la moralité, il est juste que les électeurs soient informés des éventuels « vices » privés des candidats même si ces « vices » ne tombent pas sous le coup de la loi : Bill trompait Hillary, Mitterrand avait une fille cachée, etc. Les électeurs peuvent en tenir compte s’ils le veulent, mais il ne faut pas que ce soit un motif légal d’écarter un candidat. Car la bonne moralité des élus n’est pas l’essentiel en politique : il paraît que si le monde libre a combattu Hitler, ce n’est pas parce qu’il couchait avec Eva Braun sans être marié avec elle.
Mais, du côté politique, la loi ne doit surtout pas exiger des candidats qu’ils soient moralement insoupçonnables, c’est-à-dire incorruptibles.
Puisque l’opinion publique exige à bon droit que ses élus n’abusent pas de leur position d’élus pour des profits personnels, eh bien ! la loi qui va bientôt préciser ce qui sera désormais interdit – ou pas – apporte la bonne réponse, la réponse légale, à cette exigence.
Nous considérons en France que tout ce qui n’est pas permis est interdit
Cette loi ne saurait être rétroactive. Il ne faut punir aujourd’hui que ce qui était punissable au moment des faits, et maintenir l’innocence de ceux qui ont profité hier de lois qui sont jugées aujourd’hui trop laxistes.
L’actuelle campagne de moralisation a fait de nous des voyeurs sadiques auxquels elle offre un ersatz d’exécutions publiques en place de Grève.
Cette campagne a remis en lumière une caractéristique illibérale bien de chez nous : nous considérons en France que tout ce qui n’est pas permis est interdit, au lieu de penser que tout ce qui n’est pas interdit est permis, comme c’est pourtant énoncé formellement dans la Déclaration des droits de l‘homme. « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »
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Vouloir se doter de dirigeants parfaitement moraux, incorruptibles et insoupçonnables, comme devait l’être la femme de César, est un fantasme et une fausse piste qui remonte à l’Antiquité. Platon voulait que la Cité forme des philosophes-rois qui seraient rendus imperméables à toutes les tentations qu’offre le pouvoir.
Kant pose à son tour la même question : comment le peuple, qui a besoin d’un maître pour obéir aux lois, peut-il trouver un chef suprême qui soit « juste en lui-même et être pourtant un homme. » Kant conclut que « cette tâche est la plus difficile de toutes, et que sa solution parfaite est même impossible : dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l’homme, rien ne peut être taillé qui soit tout à fait droit. » (Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, sixième proposition).
Abandonner la quête de l’Incorruptible
En réalité, la solution est tout à fait possible dans le cadre d’une société démocratique, et elle apparaît dans le texte de Kant au détour d’une phrase, quand il note que « parmi les prétendants au pouvoir suprême, chacun abusera toujours de sa liberté si personne n’exerce sur lui un contrôle d’après les lois. »
Or nos démocraties se passent de maîtres suprêmes parce que le peuple et le Droit sont là pour exercer sur les élus « un contrôle d’après les lois. »
D’ailleurs, quand bien même il existerait des saints, je veux dire des êtres humains qui n’ont même pas besoin de résister à la tentation, pourquoi exiger cette sainteté de gens qui sont élus par le peuple pour le diriger pendant que ce même peuple les tient sous son contrôle et sous celui du droit?
Les élus sont des humains comme leurs électeurs, pas des saints.
Autrement dit, au lieu de vouloir dépendre de la moralité des hommes politiques, il est plus sûr de compter sur le contrôle et la sanction par le droit.
Le plus raisonnable en politique serait donc d’abandonner une bonne fois pour toutes la quête de l’Incorruptible, l’inquisition permanente qui entraîne le règne du soupçon et de la délation, et de faire reposer l’indispensable confiance des citoyens envers leurs élus sur la transparence, le contrôle et si besoin est, sur la sanction des abus de pouvoir.
Et laissons la Vertu à ceux que la Terreur fait jouir.
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