Le feuilleton des affaires politico-financières aura bientôt une bonne trentaine d’années. Trente ans que la classe politique essaie désespérément de reconquérir la confiance de l’opinion en se trompant de diagnostic et en cédant à la double pression des médias et de la justice. Dans ce triangle pervers, les responsabilités sont partagées. Les différentes représentations du cirque médiatico-judiciaire sont pour la presse autant d’occasions, dans une surenchère délétère, de vendre du papier mais aussi de tenir en respect les politiques. La justice, au moins dans une partie des appareils syndicaux jouant sur le corporatisme, y a vu l’occasion de conquérir une indépendance, non pas garantie de l’impartialité nécessaire, mais de véritables pouvoirs qui en ont fait désormais un acteur politique comme vient de le montrer l’affaire Fillon. Les politiques, quant à eux, tout en conservant plus ou moins discrètement les mauvaises habitudes, n’hésitent pas à instrumentaliser les affaires pour affaiblir les adversaires. Depuis 1988, selon la bonne vieille méthode « un fait divers, une loi », une collection impressionnante de textes a vu le jour, chacun d’eux voulant laver plus blanc, aggravant le précédent, affaiblissant les pouvoirs politiques en leur imposant des contraintes irréalistes et en en faisant des cibles commodes pour des institutions judiciaires zélées. Et en mettant à mal, au passage, un certain nombre de principes fondamentaux des libertés publiques.
Mesure phare du non-programme de Macron
Emmanuel Macron, successeur adoubé de François Hollande, avait besoin de se distinguer de ses concurrents. Faute de programme politique, ce fut donc jeunesse, renouvellement et probité. La composition du gouvernement d’Édouard Philippe a montré ce qu’il fallait penser du renouvellement, mais aussi du sérieux de l’exigence de probité. Richard Ferrand se retrouve collé, non pour avoir fait pire que les autres, mais pareil. Et puis l’idée saugrenue de confier à François Bayrou, vieux cheval de retour politique qu’accompagnent toutes les rumeurs, le poste de garde des Sceaux et la responsabilité de « porter » le fameux texte sur la moralisation de la vie publique.
Celui-ci a présenté les grandes lignes de son texte à la presse avant de le soumettre au Conseil des ministres. L’abandon du terme de « moralisation » au profit de celui de « loi de confiance » montre qu’on en a rabattu par rapport aux rodomontades de la campagne électorale. En particulier avec l’abandon de la surenchère sur[access capability= »lire_inedits »] l’inéligibilité à vie pour toute personne ayant eu à subir une condamnation pénale inscrite à son casier judiciaire. Radicalement inconstitutionnelle, contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme, violant les principes du procès pénal comme l’interdiction des peines automatiques, l’individualisation et la proportionnalité des peines, elle n’aurait jamais passé le filtre du Conseil constitutionnel. Cette question n’est pas anecdotique, puisque ce barbarisme juridique faisait l’objet d’un consensus quasi unanime chez les politiques de Mélenchon à NKM en passant par le savoureux René Dosière, grand moralisateur devant l’Éternel, qui passe son temps à regarder dans l’assiette des autres. Et se trouve à l’origine de la limitation des mandats électifs successifs à trois. Il sait de quoi il parle pour en avoir accompli seize dont cinq parlementaires ! Confusion et approximation règnent dès lors que l’on aborde ces questions.
Cette confusion ne serait-elle pas aussi volontaire quand voisinent des banalités et de véritables horreurs ? L’interdiction de cumuler un poste de ministre et des fonctions exécutives locales s’appliquait déjà dans les faits. L’appartenance des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel aussi, aucun des quatre n’y siégeant dans les faits. On rajoutera quelques incompatibilités pour faire plaisir à ceux qui voient des « conflits d’intérêts » partout.
L’affaire Fillon nous a montré que le PNF pouvait faire le tri entre les candidats. Emmanuel Macron souhaite-t-il aller encore un peu plus loin?
Mais on en arrive à l’interdiction ridicule des « emplois familiaux », conséquence de l’affaire Fillon. Et c’est peut-être là qu’on voit se profiler la manœuvre. Les intentions d’Emmanuel Macron seraient-elles si pures ? Comment et par qui seront choisis les collaborateurs des parlementaires ? Pourquoi les priver du critère de la confiance, celle apportée par un membre de sa famille, dans leur choix ? Et puis il y a aussi le contrôle des frais de mandat qui sera effectué au réel, comme dans une entreprise. Les parlementaires contrôlés comme des employés ? De la start-up nation ? Et par qui ?
Dans le même ordre d’idées, celui de l’affaiblissement de la fonction politique, on nous annonce la création d’une banque publique pour financer les partis politiques. Dirigée par qui ? Par l’État, c’est-à-dire l’exécutif ? Il faut savoir que pour les campagnes électorales, ce sont les candidats, et non les partis, qui empruntent pour les financer. Joli moyen de contrôle du recrutement que de soumettre la possibilité de se présenter à une décision d’opportunité prise par une instance contrôlée par l’État. Pour faire bonne mesure, en même temps qu’il annonçait le relèvement du seuil électoral pour accéder au financement public des partis politiques, François Bayrou a précisé que leurs comptes devront être « certifiés » par la Cour des comptes, ajoutant bon prince que la Cour vérifierait «non pas “l’opportunité” des dépenses mais la “sincérité” des comptes ». Jusqu’à présent cette mission était accomplie par des commissaires aux comptes assermentés. La confier à la Cour des comptes, qui éprouve les plus grandes difficultés à séparer opportunité et sincérité et pour qui Pierre Joxe avait inventé du temps où il était président de l’institution le terme de « contrôle de la qualité », jette un singulier éclairage sur la nature de la surveillance qui pèsera sur les partis politiques. C’est bien là qu’apparaît l’effet pervers et dangereux de cette course à la moralisation, l’affaiblissement continu des fonctions politiques par la restriction des conditions d’exercice des mandats, d’accès aux responsabilités électives, du fonctionnement des partis politiques, au profit des structures de l’État central et de la haute fonction publique.
Il y a pire. La campagne présidentielle nous a montré que le PNF et le pôle financier, avec la conduite de l’affaire Fillon, pouvait faire le tri entre les candidats. Emmanuel Macron souhaite-t-il, bardé de sa légitime immunité, aller encore un peu plus loin ? On nous a effectivement annoncé la suppression de la Cour de justice de la République, juridiction particulière où les parlementaires sont majoritaires, qui jugent les ministres pour leurs actes de ministres. Ce qui est une application normale du principe de séparation des pouvoirs. Eh bien ! exit le principe, puisque désormais ils relèveront de la justice de droit commun. Il ne manquera plus que la disparition de l’immunité parlementaire pour que le choix des responsables politiques appartienne au parquet qui dépend de l’exécutif, et qui pourra engager contre eux des poursuites comme bon lui semble.
En marche vers la post-démocratie ? [/access]