Le projet de M. Peillon est mal parti. On ne s’approprie pas les recommandations morales comme on approfondit des dispositions réglementaires. La morale ne consiste pas seulement à autoriser et à interdire, à choisir ou à ne pas choisir de faire le bien ou le mal. Elle ne se résume pas non plus à exercer un effort sur soi-même, ni à tenter d’obéir à une loi de façon inconditionnelle.
Comment rendre la morale attrayante ?
Elle est d’abord un chemin vers le bonheur. Si nos décideurs politiques n’intègrent pas cette finalité dans leur réflexion sur la morale, l’échec est assuré. Si un but n’est pas proposé en complément à cet enseignement, celui-ci tournera vite au rabâchage, à l’incantation.
Mais M. Peillon a un but : le vivre-ensemble et la laïcité. Est-il toutefois certain que cet objectif, il soit le premier à le découvrir ? Un gamin, d’une cité ou d’une zone pavillonnaire, en découvre les règles sans qu’il soit besoin d’un cours magistral pour cela. Nous côtoyons tous, dès le plus jeune âge des citoyens de religion différente. Et nous sommes aussi experts que nos ministres sur le comment et le pourquoi du fonctionnement d’une communauté.
La morale ne marche jamais isolée. Elle est toujours intégrée à un ensemble plus vaste. Il lui faut une dynamique fixant le cap en direction d’un bien désirable. Là-dessus, Mr Peillon ne pourra rien proposer. Car la société qu’il se promet de construire est basée, qu’il le veuille ou non, sur l’individualisme, et de surcroît minée par la recherche effrénée de biens matériels. Ce qui sous-tend sa vision sociétale, c’est la contractualisation des rapports humains. Quoi qu’il en dise, Vincent Peillon reste en effet l’otage de l’idéologie libérale-libertaire de son clan politique, idéologie qui a livré une population, déracinée de ses traditions, au consumérisme et à l’hédonisme – ce qui n’est pas le meilleur préalable pour aborder la matière morale.
Vincent Peillon est aussi prisonnier de ses contradictions. Son projet de morale laïque ne peut qu’échouer parce qu’il se prive du seul atout dont il pourrait disposer : la référence aux grandes traditions, révélées ou non, qui ont porté les paroles de la conscience. Mais le peuple dont M. Peillon veut éduquer les enfants ne possède plus dans son esprit, ni histoire, ni identité (ni religion non plus, cela va sans dire !). Ce peuple est un donné brut, une cire vierge sur laquelle des experts vont devoir greffer des commandements intemporels. Une abstraction. Dès lors, quelle morale proposée à des jeunes issus de rien, du néant d’un peuple sans mémoire, sans référence à une tradition ? Des principes laïques ? Les Dix Paroles du Sinaï ? Les Béatitudes ? La critique de la raison pure de Kant ?
Pour faire le bien, et le faire avec constance et détermination, il est nécessaire d’en avoir envie. Et pour en avoir envie, il faut une promesse qui vous y lie. Et pour tenir à cette promesse, l’enfant doit avoir à ses côtés quelqu’un qui la lui la formule et soit suffisamment fiable pour la tenir, ou pour lui désigner quelqu’un capable de le faire. Autrement dit, il faut autre chose que de grands principes abstraits.
On ne veut que si l’on connaît. Et lorsqu’on ignore le but, on ne veut pas, tout simplement. Sinon, sitôt sorti de son cours de morale laïque, le jeune qui dealait n’aura pas d’autre empressement que d’y retourner.
Nous ne venons pas de rien. Et ne sommes pas de purs esprits. Nous avons tous une provenance, charnelle, concrète. Même s’il est hors de question de flatter les communautarismes de tout poil, ce n’est pas en déracinant notre jeunesse de son humus historique et religieux que nous parviendrons à lui inculquer une quelconque morale.
*Photo : Parti socialiste.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !