Qu’il est agréable de déambuler nonchalamment dans le Parc du Cinquantenaire à Bruxelles ; de passer, insignifiante fourmi, sous les imposantes arcades surmontées par un immense quadrige représentant le Brabant – qui n’était pas encore divisé en Brabant-Flamand et Brabant-Wallon ; de flâner parmi les arbres et les monuments à la gloire d’un pays qui fut en son temps l’une des premières puissances économiques mondiales ; de parcourir les riches Musées Royaux d’Art et d’Histoire, le Musée de l’Armée ou même l’Autoworld (le Musée de l’automobile) qui y sont implantés… (Faites-moi penser à réclamer mon obole à l’Office du tourisme !). Et qu’il est doux et rassurant de s’allonger au soleil sur ses fraîches pelouses à regarder glisser de jolis cumulus.
On a l’impression d’être plongé dans un univers immuable. Le promeneur attentif sera pourtant attiré par une imperceptible altération d’un monument érigé en 1921 par Thomas Vinçotte. Intitulé « Les pionniers belges au Congo », affublé d’un écriteau éducatif signalant qu’il doit être compris au regard de la mentalité colonialiste et paternaliste de l’époque – précision utile, même si elle rappelle l’imbécile mise à l’index de Tintin au Congo -, ce monument représente en effet des personnages emblématiques d’un siècle révolu : le roi Léopold II entouré de courageux soldats, une jolie madame congolaise toute nue et ses adorables bambins, un vilain méchant crocodile représentant le fleuve en colère, des gentils missionnaires et gentils explorateurs, un soldat qui se dévoue pour son pauvre chef blessé et enfin un autre soldat se battant contre…Tiens, contre qui ? Mille sabords ! On dirait que le malheureux frappe dans le vide. Ils sont fous ces Belges ! On devine néanmoins une forme assez vague qui semble dessiner un corps allongé.
Un monument censuré : une première
Pas grave se dit-on, puisqu’une inscription gravée dans la pierre est là pour édifier le promeneur. « L’héroïsme militaire belge anéantit l’ (… ) esclavagiste », peut-on lire. Saperlipopette ! Il manque un mot. Il a été effacé. Et dans les deux langues.
Le mot disparu est « arabe ». Et la statue maladroitement corrigée qui donne l’impression que notre troufion se bat contre des mouches tsé-tsé représentait un marchand d’esclaves portant un turban.
Ce mystérieux évanouissement serait-il dû à la proximité de la grande Mosquée ? En 1967, cet imposant bâtiment, qui fut le « pavillon oriental » de l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1880, a été offert par le roi Baudouin au roi Fayçal d’Arabie Saoudite. Lequel s’empressa d’en faire un centre wahhabite où l’on peut aujourd’hui entendre des prêches violents à l’encontre de Bruxelles, capitale des kafirs, c’est-à-dire des impies.
Mais revenons à notre monument « censuré » – ce qui est, me semble-t-il, une première. Un certain Doryad Azefzaf, sorti d’on ne sait où, s’étant plaint auprès du CECLR (Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme) et du MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie), les ambassades d’Arabie et de Jordanie, ainsi que l’imam de la Mosquée ont exigé, très officiellement, que l’on gomme cette référence au rôle joué par les Arabes dans la traite des Noirs au Congo.
Mettons les pieds dans le plat. La communauté arabo-musulmane serait-elle seule à être dispensée de tout travail de mémoire ? Cette question n’a rien d’« islamophobe », ou alors il faudrait accuser de francophobie toute personne évoquant la Collaboration. À ce compte-là, effaçons le mot « allemand » de nos monuments aux morts pour ne pas froisser Angela Merkel, et rasons les ruines du dôme de Genbaku à Hiroshima, dont la vue chagrine sans doute les Américains.
L’affaire est passée totalement inaperçue, la presse ayant préféré faire profil bas, de peur d’être maraboutée par les mots magiques « padamalgam ! » et « padestigmatisation ! » Je l’avoue, j’ai eu beau mettre tous mes hommes sur le coup, envoyant les plus fins limiers enquêter au sein des ministères et institutions concernés, j’ai fait chou blanc : impossible de savoir qui a autorisé le « maquillage » du monument. Je n’ai pas trouvé sur internet la moindre photo le montrant tel qu’il était avant cette opération de chirurgie politique. Et mes demandes pour reproduire une photo extraite d’un vieux bouquin conservé dans une bibliothèque publique sont restées sans réponse.
La colonisation belge contre l’esclavage
Pour les promeneurs soucieux de vérité historique plutôt que de réconfort mythologique, on me permettra de citer Stanley et Livingstone : « Dans les cent dix-huit villages mentionnés, les Arabes ont fait 3 600 esclaves. Il leur a fallu tuer pour cela 25 000 hommes adultes pour le moins et de plus 1.300 de leurs captifs ont succombé en route au désespoir et à la maladie. Étant donné cette proportion, la capture des 10 000 esclaves par les cinq expéditions d’Arabes n’a pas coûté la vie à moins de 33 000 personnes et encore quels esclaves que ceux que je vois là enchaînés et pour lesquels frères, pères et maris ont répandu leur sang… de faibles femmes, de tout petits enfants…». Et je rappellerai, pour défendre l’honneur de mon pays, que, si dès 1840, des commerçants arabes venus de Zanzibar avaient pénétré les territoires congolais pour y chercher des esclaves, Léopold II n’est devenu le roi de « l’Etat Indépendant du Congo » qu’en 1885 et que dès 1888, « La Société Antiesclavagiste belge » finançait et organisait « les Campagnes de l’État indépendant du Congo » contre les esclavagistes. Cette guerre sanglante s’acheva en 1894 par la victoire des antiesclavagistes. Cette histoire bien connue ne plait visiblement pas à tout le monde. On peut le comprendre : aucune nation, aucun groupe humain n’aime se souvenir de ses turpitudes passées. Ce qui est moins compréhensible, c’est que l’Etat belge ou certains de ses agents aient pu se montrer complaisants avec ceux qui demandent que l’histoire soit réécrite à leur avantage.
Ni l’Occident, ni l’Europe, ni la Belgique ne devraient accepter d’être affublés de la casquette de « méchant universel ». Certes, nous sommes responsables de pas mal de crimes et atrocités du passé. Nous n’en avons pas, loin s’en faut, l’exclusivité. Or, dans l’autocritique – qui dégénère aisément en haine de soi – l’Europe est seule. La Belgique a reconnu l’iniquité de la colonisation et mène sur son passé impérial un réel travail d’analyse et de débats, l’Europe passe son temps à s’excuser de son histoire, oubliant au passage qu’elle a mis fin au fléau esclavagiste et passant par pertes et profits les progrès accomplis, y compris dans ses colonies. En revanche, les traites interafricaines – que la loi Taubira passe soigneusement sous silence en France – ont tout simplement disparu : il faut croire qu’elles ne cadrent pas avec le récit binaire que l’on appelle aujourd’hui « histoire ».
En attendant, chers amis, dépêchez-vous d’aller place Royale à Bruxelles voir la statue équestre de Godefroy de Bouillon, premier souverain chrétien de Jérusalem. Ses jours sont peut-être comptés, des élus municipaux suggérant qu’on la remplace par un symbole de « tolérance religieuse » afin que « Bruxelles, capitale de l’Europe, puisse utilement adresser un geste d’amitié au monde musulman ». Moi, mes amis, je leur dis la vérité, même quand elle n’est marrante ni pour moi, ni pour eux. Notons que les mêmes élus réclament la disparition du monument érigé à la mémoire des victimes du génocide arménien.
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