Le vendredi 25 mai dernier, j’étais expulsé d’un bar du centre-ville de Montréal sur la base de mes opinions politiques. De passage dans la métropole pour participer au colloque du Mouvement laïque du Québec, je profite de l’occasion, la veille, pour passer du bon temps avec un ami. Il est un peu passé minuit quand un serveur l’interpelle pour lui demander s’il réalise vraiment avec qui il passe la soirée. Probablement avec le diable…
« Tu n’es ni le bienvenu dans ce bar, ni le bienvenu à Montréal »
Quelques secondes plus tard, un autre serveur m’intercepte au moment de payer l’addition. Il dit me reconnaître. Sur le coup, je m’imagine que c’est un lecteur. Je ne suis pas une star, loin de là, mais j’ai un certain lectorat, même dans cette cité éméchée reconnue pour son « progressisme ». Je réalise que le type n’entend pas du tout à rire. Il est sérieux, l’air grave, les convictions en évidence. Manifestement, il a une mission à accomplir.
Il me demande encore une fois qui je suis. Je confirme. Je suis Jérôme Blanchet-Gravel. Il enchaîne : « Tu n’es ni le bienvenu dans ce bar, ni le bienvenu à Montréal ». Je me fais la réflexion qu’il s’agit d’un territoire assez vaste… Selon ses dires, rester dans ce lieu pourrait même être dangereux pour ma sécurité. La tentation est grande de savoir pourquoi. On me répond que je connais mes crimes. Mais lesquels ? On devine qu’ils sont intellectuels. Le serveur termine en disant « qu’on s’occupera de moi jusqu’à Paris ». Me voilà traqué sur deux continents. Je quitte l’établissement.
Montréal, ville sanctuaire de l’extrême gauche antiraciste
Loin d’être anecdotique, cet épisode de ma vie est symptomatique du climat politique malsain qui prévaut aujourd’hui et de la montée de l’autoritarisme d’extrême gauche au Québec. Les loups sont entrés dans Montréal. Ils sont sortis des tanières de l’intransigeance révolutionnaire et du multiculturalisme. Ils sont entrés dans Montréal par la grande porte de la rectitude politique. Ils se croient maintenant indélogeables.
Deux récentes phases de l’histoire québécoise ont contribué à faire de Montréal une ville sanctuaire pour les thuriféraires de la tolérance intolérante. Premièrement, la crise étudiante qui a secoué la province au printemps 2012 a fait sortir de l’ombre certains militants qui, dans les années précédentes, s’étaient montrés beaucoup plus réservés. Malgré la présence de nombreux éléments modérés parmi les troupes étudiantes (les carrés rouges), il est évident que cette période a vu naître des radicaux. C’est spécifiquement à Montréal que le mouvement est né et a grandi. Ce n’est pas un hasard.
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Deuxièmement, le grand débat sur la laïcité qui a eu lieu en 2013 et 2014 a servi de prétexte à des militants libéraux et de gauche pour accuser les partisans du modèle républicain, laïque, d’appartenir à l’extrême droite – une tradition politique qui n’a jamais été représentée à l’Assemblée nationale du Québec. À partir de ce moment, toute personne qui osait prendre position pour la laïcité se voyait accusée de prôner le racisme et le populisme. Même des personnes immigrées ont été accusées de servir le nationalisme ethnique. Jouant aux grands cosmopolites, les bobos montréalais ont développé un air de supériorité face aux régions. Les citadins seraient ouverts et lucides, et les provinciaux fermés et stupides.
Une plainte à la Commission des droits de la personne du Québec
Devant la montée de ce nouveau mouvement liberticide, le peuple québécois doit réagir. Pour apporter ma pierre à l’édifice, j’ai décidé de porter plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec relativement à cet incident. Ce n’est pas une cause personnelle, mais une cause politique. Nous devons obtenir justice.
Il faut riposter, résister, défendre la liberté d’expression et les acquis du pluralisme dans ce monde étouffé par la censure du politiquement correct. Les institutions démocratiques qui protègent les droits de la personne ne doivent pas seulement servir à protéger la diversité culturelle. Elles doivent aussi protéger la diversité intellectuelle. J’aimerais y contribuer.
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