L’espagnol Augustin Martinez ausculte la monstruosité ordinaire d’un village pyrénéen.
Une fois les pages refermées, il faut de longues minutes pour assumer le fait d’avoir lu Monteperdido, roman noir et premier roman de l’espagnol Augustin Martinez. De longues minutes, puis de longues heures durant lesquelles revient, lancinante, cette question que l’on fuit habituellement autant qu’on le peut : que signifie « être humain » ? Et que signifie « être », pour l’humain que je suis ? Celui-là même qui vient de lire ce livre, et de ressentir du plaisir à cette lecture. Les questions qui irriguent les 450 pages de Monteperdido. Bien plus qu’un texte de genre. Un chef d’œuvre du genre noir mais aussi une grande œuvre littéraire.
Monteperdido ? Un lieu réel, concret, en Espagne, à proximité de la frontière avec la France. Le Mont Perdu. 3355 mètres d’altitude. Entre deux canyons. Un monde de calcaire. Rude. Violent. Difficile d’accès. La vie des hommes, celle des villageois d’Augustin Martinez, y est ardue. Un village, comme une famille. Avec ses secrets. Ce que l’on sait, ce que l’on voit. Mais que l’on tait. Monteperdido ? Un mont perdu ? L’humanité, sous la plume de l’écrivain. Non que l’humanité ait disparu. Plutôt que l’humain cherche son humanité. Ou qu’il peine à l’atteindre, à parvenir en haut de ce mon qui ferait de lui un humain véritable. Et non ce monstre qu’il peut être. Le monstre des pages de ce roman, sous les traits de personnages croqués de manière si vivante, si réelle, qu’il devient difficile, au fil de la lecture, de ne pas sembler y voir ses voisins.
Le village de Monteperdido est le véritable personnage de ce roman
L’écriture de Martinez transpose son lecteur sur place, entre les murs du village de Monteperdido, sur les crêtes des Pyrénées, et le transforme en habitant du village. Voisin parmi les voisins. Qui sait des choses et qui, pas à pas, comprend le fond de l’histoire. Mais se tait. Le village enfouit ses secrets, comme vivent enfouies toutes les saletés dont l’humain est capable. Sur le chemin, le sommet du Mont Perdu à l’horizon. Un chemin escarpé, celui d’un humain en quête d’humanité. Le sentier est malaisé.
Le village de Monteperdido est le véritable personnage de ce roman, un village comme un organisme vivant et dans lequel les protagonistes s’ébrouent, à l’instar du sang dans les veines. Un habitant aperçoit la fumée d’une voiture accidentée, sortie de la route et tombée dans le défilé abrupt. Il découvre le cadavre d’un homme, et auprès de lui Ana, jeune femme de 16 ans. Ana réapparaît. 5 ans auparavant, elle a disparu en compagnie de sa meilleure amie, Lucia. Deux fillettes disparues, recherchées, jamais retrouvées. Le village vit depuis 5 ans dans cette souffrance, et tous ses secrets paraissent reliés à ces disparitions non résolues.
Un roman âpre et vertigineux
Le retour d’Ana conduit deux inspecteurs de Madrid, Sara et Santiago, incroyablement campés, à rouvrir l’enquête, laquelle trace le fil noir du roman. De découvertes en rebondissements, jusqu’au moment où le lecteur croit saisir le fin mot de l’histoire qui à nouveau lui échappe, qu’il croit attraper de nouveau et qui… Efficacité de l’écriture d’Augustin Martinez, par ailleurs auteur de scenarii. Et le moins que l’on puisse dire est que le scenario de Monteperdido est une réussite. Lire ce roman, c’est être mené par le bout du nez.
Ana est revenue mais… Lucia ? Reprendre le fil d’une enquête bâclée par la Garde Civile 5 ans plus tôt, remonter vers le Mont Perdu d’une humanité en quête d’elle-même, terrifiante en ses travers pourtant tellement humains, mener l’enquête pour sauver Lucia, si cela est encore possible. Et peut-être sauver ce qui peut encore l’être de l’humaine condition.
Dans le village de Monteperdido, c’est Festen à tous les étages. Monteperdido est bien plus qu’une réussite, un roman âpre et vertigineux, un chef d’œuvre sombre et noir dont le cadre ne quitte plus celui qui referme les pages du massif du Mont Perdu.
Augustin Martinez, Monteperdido, roman traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Actes Sud noirs, 2017
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