Accueil Édition Abonné Montée de l’antisémitisme en Afrique du Sud

Montée de l’antisémitisme en Afrique du Sud

Scandale autour d'une école juive


En baisse dans les sondages, le parti sud-africain Economic Freedom Front (EFF) a récemment semé l’émoi parmi la communauté juive. Le mouvement du populiste Julius Malema a exigé que l’école juive United Herzlia Schools, située au Cap-Occidental, soit « radiée » de la liste des écoles agréées par le ministère de l’Éducation, accusant l’établissement scolaire de pousser ses élèves à émigrer vers la Terre promise et d’y rejoindre son armée. Un événement qui intervient dans un contexte de montée de l’antisémitisme dans cette partie de l’Afrique australe.


Aishah Cassiem siège comme députée au parlement de la province du Cap-Occidental. Ancienne journaliste d’investigation, elle a rejoint l’Economic Freedom Front (EFF) en 2013 après avoir interviewé Mogamad Nazier Paulsen, un des turbulents leaders de ce parti politique sud-africain. Elle a très rapidement gravi les échelons de ce mouvement fondé par le populiste Julius Malema, seconde force d’opposition du pays. Conseillère municipale du Cap, devenue trésorière du parti, elle a pu se fait élire au parlement fédéral en février 2023. Vêtue de rouge, la couleur arborée en toutes circonstances par l’EFF, Aishah Cassiem porte également un keffieh palestinien. Une cause à laquelle cette élue est sensible. Le 15 juin, elle a pointé du doigt l’école juive United Herzlia Schools dans une déclaration qui a été reprise par la presse israélienne. « Il est effarant de constater que le gouvernement provincial DA [Alliance démocratique] condamne la guerre en Ukraine, mais ne fait rien contre cette école qui a aligné ses programmes sut ceux de l’État d’Israël et encourage les élèves à participer à une politique d’apartheid » contre les Palestiniens. Elle a immédiatement réclamé que l’établissement scolaire soit « radié » de la liste des écoles agréées par le ministère de l’Éducation. D’autant que selon elle, l’école prône le retour vers la Terre promise à ses élèves et les incite à faire leur service militaire au sein de Tsahal, l’armée israélienne.

Idéologie malsaine

Des propos qui ont choqué la communauté juive d’Afrique du Sud. Bien qu’il ne nie pas le départ de certains juifs sud-africains vers Israël, le Centre Simon Wiesenthal s’est emparé de cette affaire et a accusé dans un communiqué la parlementaire de véhiculer une idéologie malsaine. « Nous dénonçons la déclaration d’une élue sud-africaine qui a demandé qu’une école communautaire juive du Cap, soit radiée après qu’il soit apparu que 22% des élèves de l’école se rendaient en Israël à la fin de leurs cursus afin de rejoindre Tsahal » a écrit cette organisation non-gouvernementale qui bénéficie d’un statut consultatif à l’ONU et à l’UNESCO.  Des chiffres confirmés par le directeur de l’éducation du lycée Herzlia, Geoff Cohen, et le directeur général de l’école, Andries van Renseen. « Le Cape SAJBD est profondément préoccupé par la dernière attaque publique de l’EFF contre les membres du conseil d’Herzlia, qui a même affiché des photos et des noms des élèves sur les réseaux sociaux » s’est inquiété Daniel Bloch, directeur général du Cape South African Jewish Board of Deputies.

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Jusqu’ici cantonnée à l’extrême-droite afrikaner, l’Afrique du Sud subit depuis des années une montée de l’antisémitisme au sein des couches populaires noires et musulmanes, exacerbée par l’EFF et l’African National Congress (ANC), le parti de Nelson Mandela qui dirige l’Afrique du Sud. « Le Cap SAJBD ne restera pas les bras croisés et ne permettra pas à cette démagogie politique de se poursuivre. C’est une attaque honteuse contre la plus grande et la plus prestigieuse école juive du Cap-Occidental. Nous continuerons à soutenir Herzlia et ses dirigeants et nous combattrons les tentatives répréhensibles de l’ANC, de l’EFF et de toutes les autres organisations de radier l’école. Ce n’est que la dernière tentative infructueuse des lobbyistes anti-israéliens pour intimider la communauté juive du Cap » a ajouté Daniel Bloch qui dénonce à son tour l’antisémitisme ambiant qui règne dans le pays. « Le gouvernement sud-africain – et tous les partis d’opposition – devraient concentrer leur attention non pas sur les conflits étrangers [Pretoria soutient ouvertement la Russie contre l’Ukraine-ndlr) mais sur les problèmes qui affectent les Sud-Africains, en particulier ceux liés à notre jeunesse. Il s’agit notamment de nos taux élevés d’abandon scolaire, des latrines à fosse, du manque de nourriture, d’eau et d’électricité dans nos écoles publiques, contre un taux de chômage des jeunes inexplicablement élevé » a déclaré de son côté Rowan Polovin, président national de la Fédération sioniste d’Afrique du Sud (SAZF).

Les islamistes ont pris Johannesburg

L’Afrique du Sud a établi des relations diplomatiques avec la Palestine en 1995, un an après la fin du régime de ségrégation raciale. Depuis lors, Pretoria est restée très critique à l’égard « des mauvais traitements continus, infligés aux Palestiniens par Israël ». Y compris contre sa politique de colonisation sur des terres arabes en Cisjordanie occupée. En juillet 2022, le ministre sud-africain des Affaires étrangères, Naledi Pandor, a demandé « qu’Israël soit classé comme un État d’apartheid et que l’Assemblée générale des Nations Unies établisse un comité international afin de vérifier si l’État Hébreu satisfaisait aux règles démocratiques » comme le rapporte Al Jazeera. Le parlement sud-africain a d’ailleurs voté une motion qui rétrograde le statut de son ambassade en Israël et qui le transforme en simple bureau de liaison, accusant le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou de perpétrer « des abus sans fin contre les Palestiniens ». Dans la foulée, l’organisation sud-africaine de rugby a annoncé qu’elle n’autorisait plus son équipe à jouer contre leurs alter égos israéliens du Tel Aviv Heat lors de rencontres sportives. Enfin, dernière crispation en date entre les Pretoria et Jérusalem, l’expulsion du délégué israélien lors du sommet de l’Union africaine (UA) à la demande conjointe de l’Afrique du Sud et de l’Algérie.

Des tensions loin d’être retombées. Il y a plusieurs semaines, le chef du parti islamique sud-africain Al Jama-ah, qui prône la charia, a appelé les services de la police sud-africaine (SAPS) à « arrêter les corps sionistes présents au Cap », affirmant que le SAJBD et la SAZF « prônent le racisme et l’apartheid israélien ». Un mouvement mineur mais loin d’être négligeable, puisque dans le cadre d’une alliance avec l’ANC, les islamistes ont pu récemment obtenir la tête de la prestigieuse mairie de Johannesburg. Face à la polémique, le gouvernement israélien a préféré s’abstenir de toutes déclarations officielles sur le sujet.




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Journaliste , conférencier et historien.

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