Depuis sa nomination, on accuse avec constance le ministre du redressement productif d’être à ce poste essentiellement pour amuser la galerie ouvrière pendant qu’à Bercy ou rue de Grenelle, les vrais ministres avalisent les plans « sociaux » et les transferts de technologies stratégiques vers la Chine ou le Brésil. Il y a du vrai là-dedans, mais pas que. Et même depuis la tribune en carton-pâte de son ministère du schmilblick, l’homme à la marinière XXL garde le pouvoir d’énerver les zélotes du TINA (There Is No Alternative), par exemple quand il prononce des mots aussi sacrilèges que « nationalisation », comme c’est le cas depuis le début de ce mois dans le dossier Arcelor.
C’est ainsi que la semaine dernière, on avait pu entendre Michel Sapin recadrer sèchement Arnaud en expliquant du haut de sa science infuse qu’il était hors de question que l’Etat se mouille plus que de mesure dans le merdier de Florange. « On n’est plus à l’époque où l’on nationalise la sidérurgie », avait expliqué Michel Sapin en haussant les épaules. Il est vrai que le ministre du travail sait de quoi il parle : il fut l’un des ténors du gouvernement Jospin qui restera dans l’Histoire comme le gouvernement le plus privatiseur de la Vème République. (On retrouvait aussi dans cette Dream Team sociale-libérale à donf’ un certain Jean-Luc M… qui fut candidat du F… de G… à la dernière présidentielle, mais je n’en dirais pas plus, j’ai bien trop peur d’être dénoncé à la vindicte populaire des DJ d’Oberkampf et des webmasters de la Butte aux Cailles comme « journaliste policier qui fait des fiches »).
Mais revenons à nos laminoirs laminés qu’on ne saurait nationaliser parce que l’Europe d’aujourd’hui n’est pas la France d’hier et encore moins, brrrr, l’URSS d’avant-hier. Et ne voilà-t-il pas que j’apprends par une dépêche AFP publiée ce dimanche que ce week-end non seulement Sapin, mais aussi son collègue Mosco ont mangé de concert leurs chapeaux. Que nous dit cette dépêche dominicale ? « Les ministres de l’Economie et du Travail ont apporté leur soutien dimanche à leur collègue Arnaud Montebourg, qui demande au groupe de sidérurgie ArcelorMittal de céder l’ensemble du site de Florange (Moselle), et non la simple portion qu’il veut fermer. »
Et il est vrai que dans le genre volte face, Sapin a fait encore plus fort que Nicolas Cage dans le film (délectable) de John Woo, n’hésitant pas à déclarer, hier sur RTL : « il y a une solidarité totale du gouvernement dans son entier et en particulier des deux soldats de l’emploi, Arnaud Montebourg et moi-même » avant d’enfoncer le clou en n’excluant plus une reprise en main temporaire de l’Etat pour dit-il « faciliter la transaction ». Nationalisation temporaire ? Arnaud -qui n’est pas plus bolchévik que je suis fan de Noir Désir ou de Lorie- n’en demandait pas tant. Et pas moins, en vérité : pour Montebourg, ce ralliement de Sapin, c’est Noël avant l’heure !
Et du coup, c’est le petit ministre en mousse qui reprend la main, pas plus tard que ce matin, dans les colonnes des Echos, ragaillardi, voire ressuscité par la conversion miraculeuse au dirigisme honni de ses deux principaux adversaires socialistes. Sapin et Mosco reculent ? Montebourg en rajoute aussitôt une couche en expliquant au quotidien économique (c’est une façon de parler, hein : en vrai, à 1,70 € l’exemplaire, Les Echos ça coûte plus cher que Le Monde ou Libé, et beaucoup plus cher que 20 minutes). Donc pour ceux qui suivent, Montebourg a déclaré ce matin aux Echos, sans plus de chichis : « Nous ne voulons plus de Mittal en France parce qu’ils n’ont pas respecté la France. » Voilà ce qui s’appelle parler. Et pas pour ne rien dire, comme je l’ai maintes fois reproché à Arnaud ces derniers mois. Mais alors, qu’est-ce qui nous vaut ce sang neuf ?
En fait, je crois qu’au terme d’un bon gros semestre de cafouillage, de verbiage et de cocufiage, notre président de la République – on n’imagine pas une seconde que l’Elysée soit étrangère à ce retournement express de Sapin et Mosco- ait enfin compris qu’il fallait jouer de toutes les cordes de son violon. Qu’un Etat digne de ce nom doit à la fois manier la carotte et la baston, les cadeaux fiscaux aux entreprises vertueuses et le rétablissement de la peine de mort (autrement dit la nationalisation, fût-elle partielle et temporaire) pour les patrons voyous, voleurs de subventions et serial killers d’emplois.
Toute cette agitation suffira-t-elle à sauver Florange et à préserver les 20 000 emplois français que Lakshmi Mittal menace de zapper si on touche à ses jouets ? On espère que oui. Mais on craint que non. Faute de vraie volonté politique, tout d’abord. Par exemple, au cas, fort probable, où Bruxelles se fâcherait. Et faute, aussi, de cadre juridique approprié à une telle intervention étatique. Pourtant il existait bel et bien dans le programme du candidat Hollande une proposition promettant une loi sur la reprise des sites industriels rentables. Une idée jugée tellement stratégique que celui qui n’était encore que député de Corrèze avait personnellement déposé un projet de loi en ce sens en février 2012 à l’Assemblée Nationale, alors tenue par l’UMP.
On aurait pu imaginer que la nouvelle majorité socialiste et verte issue des législatives de juin dernier se précipiterait pour donner corps à cette loi et tenter de mettre fin au carnage industriel made in France. Hélas, l’examen de cette proposition de loi a été repoussée à plus tard, la majorité parlementaire a jugé, semble-t-il, qu’il était beaucoup plus urgent de légiférer sur le mariage gay…
*Photo : Le Parisien magazine.
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