Il paraît que la Fête de la rose a presque le même âge que moi. Elle a lieu tous les ans depuis 1973 à Frangy-en-Bresse, à l’initiative de Pierre Joxe qui fut un emblématique ministre de l’Intérieur de François Mitterrand. L’an dernier, alors que la météo était plus clémente que cette année, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon y avaient fait le show et avaient perdu dès le lendemain leur place au gouvernement. Cette année, le trublion bressan, ex-ministre de l’Economie, avait convié son ex-homologue grec, Iannis Varoufakis. Le show promettait également. Les télés et radios étaient là. Un militant franc-comtois, proche de Montebourg depuis des années, me confiait que Hollande aurait très bien pu tuer la couverture de la Fête de la rose en organisant une remise de la légion d’honneur des héros américains du Thalys dès ce dimanche après-midi, et ajoutait avec beaucoup de malice : « Même ça, ils n’en sont même plus capables ».
Moi, ce qui m’importait, c’était de savoir si Arnaud Montebourg avait pris complètement acte du « moment grec », ou s’il croyait encore à la possibilité d’un « euro sympa ». Après tout, son invité du jour n’avait-il pas prouvé que sans un plan B, même la volonté de Tsipras, portée par plus de 60% des citoyens grecs, ne pouvait rien face à l’intransigeance du Docteur Schaüble ? Cette question, j’ai pu lui poser dans la conférence de presse qui précédait les discours : « N’est-il pas vain d’aller négocier avec les Allemands si ces derniers sont certains que, quoi qu’il arrive, nous resterons dans l’euro ? ». L’ancien ministre de l’Economie commence à expliquer que l’Union européenne ne doit pas être forcément être synonyme de « bras de fer » mais plutôt privilégier « l’entraide ». Il me cite l’annulation de la dette allemande en 1953 (la construction européenne n’avait alors pas débuté, mais bon…) puis l’attitude bienveillante de Jacques Chirac face à Gerhard Schröder, lequel venait lui demander qu’on soit plus souple avec les critères de convergence de Maastricht. L’ami Luc Rosenzweig, à Frangy lui aussi, me fit remarquer après la conférence de presse que Chirac était bien content de se montrer bienveillant avec l’Allemagne parce que cela lui permettait aussi de s’assoir sur les fameux critères. Arnaud Montebourg conclut sa réponse à ma question en expliquant que l’Allemagne défend ses intérêts nationaux et qu’il serait opportun que nous fassions de même et ajoute une phrase énigmatique : « lors d’une négociation, il faudra mettre tout ça sur la table ». Comment l’interpréter ? Qu’il ne faut plus aller dans ce genre de négociation armés d’une seule sarbacane, comme Tsipras hier, et Hollande en juin 2012 ? On aimerait croire que ce « tout sur la table » inclut évidemment la question de l’existence de l’euro.
Mais je vais un peu vite en besogne. Car quelques minutes plus tard, sur le terrain de football de Frangy, Montebourg nous explique son projet de construire enfin un « euro démocratique », stade ultime de « l’euro sympa ». Un euro démocratique ? Et pourquoi pas un crocodile affectueux ou un cannibale végétarien ? Bref, aux côtés de celui qui a tenté de mettre en œuvre un système de monnaie parallèle dans son pays, véritable amorce d’une sortie de l’union monétaire, Montebourg cale. Du reste, Varoufakis a bien du mal à assumer son plan B. Il prend longuement la parole, expliquant fort bien les coulisses de l’Eurogroupe, et ses discussions avec Michel Sapin, l’homme pour qui « la France n’est plus ce qu’elle était ». Là encore, les constats sont lucides mais à la fin, on n’ose pas rompre. Et on propose des initiatives paneuropéennes pour réclamer une Europe enfin démocratique.
Merkel et Schaüble ne tremblent pas. Et ils ont raison. Le même jour dans les colonnes du JDD, Mélenchon semble au contraire démontrer qu’il a compris les termes de l’alternative : « Entre l’indépendance de la France et l’euro, je choisis l’indépendance de la France ; entre la souveraineté nationale et l’euro, je choisis la souveraineté nationale ». L’ancien candidat du Front de gauche à la présidentielle a compris qu’il était suicidaire de s’accrocher au totem euro. Il sait qu’il serait irresponsable de laisser la critique de l’euro à Marine Le Pen. Arnaud Montebourg a pris un temps de retard. C’est dommage. Même si la Seille voisine n’est pas une rivière très profonde, il n’est pas confortable de rester au milieu du gué.
*Photo : DR.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !