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Montebourg : la démondialisation heureuse ?


photo : Webstern Socialiste

Votez pour la démondialisation ! clame Arnaud Montebourg dans son petit livre-programme vendu deux euros[1. Arnaud Montebourg, Votez pour la démondialisation !, Flammarion 2011]. Avec la bénédiction d’Emmanuel Todd, qui signe la préface, le candidat aux primaires socialiste y développe l’axe central de sa campagne : la démondialisation. Empruntée au penseur philippin Walden Bello, l’expression fait déjà frémir dans certaines chaumières bien loties. Ce programme d’action volontariste entraînerait une révolution copernicienne dans les rapports Nord-Sud mais aussi dans la vie quotidienne des millions de Français incités à consommer et produire tricolore.

Pour prendre la mesure du bouleversement que représenterait un tel changement de cap, il faut citer Bello in extenso : « les décisions économiques stratégiques ne peuvent être laissées au marché ni aux technocrates. Toutes les questions vitales (…) doivent au contraire faire l’objet de débats et de choix démocratiques. Le régime de la propriété doit évoluer pour devenir une « économie mixte » intégrant coopératives et entreprises privées et publiques mais excluant les groupes multinationaux. Les institutions mondiales centralisées comme le FMI ou la Banque mondiale doivent céder la place à des institutions régionales bâties non sur l’économie de marché et la mobilité des capitaux, mais sur des principes de coopération ».

Une juste critique du libre-échange

Sur plusieurs dizaines de pages, Montebourg plaide donc pour un protectionnisme vert apte à enrayer la spirale de délocalisations qui gagne jusqu’aux pays émergents. En multipliant les exemples de drames humains, le député de Saône-et-Loire s’attarde longuement sur le sort des employés précaires allemands payés trois francs six sous puis analyse la concurrence déloyale que se livrent l’Est et l’Ouest de la Chine, dont les salaires inégaux entraînent des délocalisations régionales en série. Partout, le même constat s’impose : comme la concurrence pure et parfaite, le libre-échange intégral est une chimère. Une utopie libérale dont l’application dogmatique profite aux seules élites mondialisées, qui, d’après les sondages, forment d’ailleurs le dernier bastion des défenseurs de la mondialisation. Montebourg résume d’une phrase choc la logique mortifère du moins-disant social : « Le cycle fou de la mondialisation est un puits sans fond, une machine déréglée dont le carburant est de trouver sans cesse des plus pauvres et des plus dociles. » Ajoutons que les délocalisations ont un coût écologique colossal, ne serait-ce qu’à travers les flux de marchandises, donc les transports, qu’elles engendrent.

Pour réinventer notre modèle de développement et de croissance, Arnaud Montebourg soutient un « socialisme de transformation » inspiré des analyses de Walden Bello. Autrement dit, à des années lumières des vieilles lunes sociale-démocrates consistant à redistribuer des recettes que l’on ne perçoit plus à cause de la désindustrialisation rampante. Loin également du socialisme d’ajustement qui constitue le modèle dominant des gauches européennes, incapables de proposer une réelle alternative à l’économie mondiale de marché.

Parmi les pages les plus convaincantes du micro-essai, celles qui sont consacrées à la bonne vieille loi marxienne de la baisse tendancielle du taux de profit nous rappellent les limites inhérentes au capitalisme.
Irrésistiblement, les patrons de multinationales se heurtent à une concurrence exacerbée qui leur fait repousser les limites géographiques de leurs zones de production. D’où ce paradoxe digne d’Ubu roi : en déménageant des usines entières, les grandes entreprises françaises fabriquent des chômeurs en série, asséchant ainsi la demande intérieure française, ce qui les contraint à aller chercher des consommateurs ailleurs. Ces grands groupes doivent alors favoriser l’émergence d’une classe aisée dans les pays du Tiers-Monde tout en paupérisant au maximum les travailleurs qui leur servent de main d’œuvre servile. Par une logique centrifuge, l’appauvrissement de la force de travail contredit en effet le besoin de débouchés des firmes de produits manufacturés. In fine, le système court donc à sa perte.

Quid du protectionnisme européen ?

Les critiques d’Arnaud Montebourg sont donc très convaincantes. Ceci dit, le démontage en règle du libre-échange ne suffit pas à construire un projet.

La solution qu’il propose peut sembler paradoxale dès lors qu’elle s’inscrit dans les cadres actuels de la mondialisation. Au prix d’une ruse de la raison, Montebourg suggère d’invoquer la nécessité écologique et le bien-être des peuples pour faire jouer les clauses de sauvegarde de l’OMC et légitimer l’établissement de barrières commerciales continentales.

Ce hold-up démondialiste illustre le point d’achoppement du réformisme: comment prétendre changer les règles d’un système sclérosé sans le faire exploser ? De la même manière, si l’auteur reconnaît le rôle délétère joué par une Allemagne accrochée à l’euro fort pour doper ses exportations en Europe, il ne voit pas la crise monétaire qui vient. Tout juste regrette-t-il le « pilotage automatique » de la monnaie unique. Montebourg ne remet jamais explicitement en cause l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. La responsabilité des gouvernements européens coupables d’une surévaluation de l’euro par rapport au dollar et au yuan n’est pas évoquée, pas plus que ses effets dramatiques sur l’industrie française. Comme la plupart des hiérarques socialistes, Montebourg risque de se réveiller groggy lors de la prochaine crise (espagnole) de l’euro qui pourrait bien signer son acte de décès monétaire.

Le projet de protectionnisme européen bute surtout sur l’obstacle allemand. Depuis dix ans, Berlin a comprimé ses coûts du travail tout en imposant un euro-mark surcoté qui profite à la compétitivité de ses entreprises, lesquelles exportent à plus de 60% dans la zone euro. Certes, à la suite de Chevènement, Montebourg démontre que l’Allemagne aurait à long terme tout intérêt à arrêter d’asphyxier ses partenaires européens, sans quoi elle ne trouvera plus de débouchés pour ses produits vendus et achetés en euros.

Mais à moins d’envoyer nos chars Leclerc à Baden-Baden, on voit mal comment nous pourrons faire le bien de l’Allemagne – et le nôtre au passage – malgré elle. Faute de perspective révolutionnaire crédible, le pré-candidat socialiste se raccroche sans trop y croire à l’illusion d’un intérêt général européen.

Vers un plan B national ?

Peut-être Montebourg a-t-il une autre idée en tête. En cas de désaccord persistant entre une France avide de réindustrialisation, des institutions internationales sourdes et des partenaires européens autistes, serait-il prêt à adopter le protectionnisme national auquel il se déclare clairement hostile ? Cette idée, qui n’est pas l’apanage de Marine Le Pen – dont les conseillers ont dû lire Jacques Sapir – n’est pas à balayer d’un revers de main.

Quand on lit Montebourg entre les lignes, on peut penser qu’il n’en est pas si loin. Ainsi, lorsque l’apôtre de la démondialisation rend hommage au Buy American Act par lequel les USA « empêchent toute entreprise qui n’est pas installée aux Etats-Unis, et n’emploie pas des Américains » d’accéder aux marchés publics[2. Cette disposition contraint même les entreprises américaines bénéficiaires de subventions publiques à privilégier des fournisseurs nationaux. Une preuve de plus que les Etats-Unis, comme bien d’autres protectionnistes honteux, restent des libre-échangistes croyants mais non pratiquants], il fait un pas en direction d’un patriotisme économique bien senti : « Scandale ? Non. Intérêt légitime d’une nation » (sic !).

Reste à espérer qu’Arnaud Montebourg, s’il accède un jour à l’Elysée, n’oubliera pas les idées iconoclastes qu’il défend aujourd’hui, autrement dit qu’il sera capable de dire niet aux multinationales et aux grandes institutions financières. Si besoin, en paraphrasant Vincent Auriol : « Les banques, je les ferme. Les banquiers, je les enferme ! ».

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est journaliste.

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