Le dauphin de Marine Le Pen maîtrise à la perfection la grammaire des réseaux sociaux. Vidéos et selfies l’ont rendu populaire auprès des jeunes et lui permettent d’éviter les sujets qui fâchent.
Le dauphin qui les fait tous flipper !
Jean-Marie Le Pen disait toujours qu’un FN qui ne fait pas peur n’intéressait personne. Bardella est visiblement en train de lui donner tort.
Les sondeurs s’interrogent sur les ressorts de la Bardellamania. Jeune et poli, il tranche avec le style des leaders historiques du parti. Comme il est le seul homme politique à figurer dans le classement des personnalités préférées du JDD, et que les compteurs de son compte TikTok s’affolent, on soupçonne ses communicants de sorcellerie.
Jordan « pas de vague »
Digital native, le président du RN a mis en place une stratégie aussi payante électoralement qu’ennuyeuse pour les commentateurs. Il évite les coups d’éclat. Ainsi peut-il séduire la minette de 20 ans en BTS ou la mère au foyer de la France périphérique sans décevoir la retraitée cougar qui s’inquiète pour sa sécurité sur la Côte d’Azur. Car il les lui faut toutes !
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Sur les réseaux sociaux, où il ne publie que des messages très courts (une ou deux phrases, jamais plus), Bardella fait le plein : 350 000 abonnés sur Facebook, 380 000 sur Twitter et… 1,1 million sur TikTok !« Nous y proposons un savant mélange entre des publications d’instants de campagne, d’instants de vie de Jordan, avec la reprise des meilleurs passages médias », raconte Raphaël Rible, assistant parlementaire de Marine Le Pen et community manager du RN. Quand on lui fait remarquer que Bardella ne dit pas grand-chose sur le réseau chinois, Rible confie : « Contrairement aux autres réseaux sociaux, même avec un compte qui a peu d’abonnés au début, une vidéo peut percer : leur algorithme est pensé pour qu’un nouveau venu ait autant de chance qu’un autre compte déjà très suivi. » La peur de déplaire expliquerait-elle la faiblesse du contenu politique ? « Les discours grandiloquents à la “Reconquête” sur la civilisation, on peut le faire de temps en temps, mais ce n’est pas ce qui fonctionne sur TikTok, qui est peu politisé contrairement à Twitter. Ce réseau social reste avant tout populaire et bienveillant, on y va pour s’amuser. » Loin des polémiques identitaires, Bardella multiplie les vidéos de moins d’une minute : Jordan au bistro, Jordan enchaînant de façon mécanique les selfies, Jordan qui conduit un tracteur, Jordan caressant un lapin trop mignon dans la mairie de Beaucaire, etc. Et quand il fait polémique, ce n’est pas voulu : par exemple quand il publie une vidéo avec la médaille que lui remettent les CRS de Saint-Vincent-du-Gard.
La « patte » Bardella
Bardella n’est jamais meilleur qu’à la télévision. Il est très à l’aise dans les joutes verbales, par exemple face à Louis Boyard, Karim Zéribi ou Yassine Belattar, chez Hanouna. Les mauvaises langues disent que son public se partage à égalité entre les identitaires des deux camps (ceux qui pensent que la France est « islamophobe » et ceux qui s’inquiètent de la voir islamisée).
Difficile de définir la « marque » ou la « patte » Bardella, tout juste s’autorise-t-il de temps à autre une petite blague accompagnée d’un smiley. Avant la diffusion du « Complément d’enquête » que lui consacre France 2, il persifle en regardant la bande-annonce du programme : « Ils ont même mis la musique qui fait peur… » On trouve quelques interventions un peu plus solennelles – lors du meurtre de Thomas à Crépol, par exemple.
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Bardella bénéficie d’une prime à la consensualité. Reste que séquencettes de quelques secondes, punchlines et vidéos sympathiques jouant d’abord sur l’émotion grand-remplacent les discours argumentés et construits de la politique d’autrefois. Pour le journaliste Nicolas Domenach, ce phénomène est aussi dévastateur pour la politique que la « fast fashion » pour la planète[1].
[1] Gabriel Attal et Jordan Bardella, les Tik et Tok de la politique, Challenges, 26 février 2024.