« Mi 2011, on aura fait passer toutes les réformes. Après, on ne fera que de la politique ». Ces propos tenus par Nicolas Sarkozy aux députés UMP au cours d’une séance de câlinage ont tout d’un aveu inconscient. Alors, on voit bien ce qu’il a voulu dire : le boulot sérieux et les mesures impopulaires maintenant, la bagarre électorale avec son cortège de coups plus ou moins bas et de promesses qui engageront ceux qui y croiront ensuite. Sauf que, Monsieur le président, les mots parlent. Vous n’avez pas été élu pour être un « entrepreneur en élection », formule que j’emprunte à Marcel Gauchet, mais, précisément, pour faire de la politique. Beaucoup de verbe, souvent flamboyant, peu d’action : même pour ceux qui ne vous rendent pas responsable de tous les malheurs de la France et de l’Europe, le compte n’y est pas.
Mettez les pieds dans le plat bruxellois !
Faire de la politique, mais encore, me direz-vous ? Cela signifie reprendre la main, et pour commencer, faire taire tous ceux qui vous susurrent qu’on ne peut rien faire. Vous avez choisi, avec la loi sur le voile intégral, de ne pas suivre les conseils du Conseil d’Etat et de braver la réprobation médiatique, fort bien. Mais faire de la politique aujourd’hui, c’est peut-être prendre le risque d’irriter les Allemands, d’affoler les marchés et de réveiller Jean-Claude Trichet – encore qu’il serait peut-être préférable de le laisser dormir.
Faire de la politique, c’est avoir le courage de mettre les pieds dans le plat bruxellois et de dire que cette usine à gaz ne marche pas. Faire de la politique, c’est exiger qu’on cesse de torturer les peuples avec l’euro, comme le dit Emmanuel Todd.
Faire de la politique, ce n’est certainement pas se raconter, comme vous le faites avec madame Merkel, qu’on va créer un super-Etat auquel on délèguera le budget après avoir renoncé à l’arme monétaire. Faire de la politique, ce n’est pas nous offrir comme unique horizon de rentrer dans l’épure pré-dessinée des 3% de déficit – surtout quand vous savez que cet objectif, qui n’a pas grand sens dans la période que nous vivons, est, par surcroît, parfaitement irréaliste. Faire de la politique, c’est affronter le réel et le réel nous dit que tous les bons sentiments et pieuses proclamations européennes ne suffisent pas à faire disparaître les rapports de force et les divergences d’intérêts entre les vieux pays que nous sommes.
Sous prétexte de nous protéger de la guerre, ce qui est fort louable, l’Europe interdit en vérité l’expression de tout conflit, prétendant nous faire marcher du même pas d’Oslo à Athènes. Or, la politique, c’est le conflit mais aussi et par là-même la possibilité de sa résolution pacifique. Personne ne vous demande de faire sauter la baraque à coups de cocktails Molotov. Entre nations civilisées, on doit pouvoir négocier, faire des compromis et même, aller ensemble à l’épreuve de force. Ces fameux et étranges marchés qui semblent être devenus nos vrais dirigeants savent désormais que l’Europe est un ventre mou qui, justement, ne fait pas de politique. Aux Etats, donc à vous, de leur montrer qui sont les patrons. Faites leur la guerre avec leurs armes, ruinez quelques traders et banquiers indélicats, obligez la Banque centrale européenne à jeter son poids financier dans la bataille – c’est sur notre travail à tous qu’est gagé l’euro qu’elle défend avec des mines de veuve jalouse. S’il le faut, empruntez-leur l’argent qui les mettra à genoux. Ou alors, monsieur le Président, confiez-leur les clés et prenez du bon temps. Avec Madame Merkel si ça vous chante.
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