« The perfect storm » : la formule a commencé à circuler au-delà de l’Atlantique, tant chez les économistes académiques que chez les analystes des marchés. Intraduisible en français, du moins dans son esprit, elle signifie qu’une conjonction d’éléments fâcheux se cristallise dans différentes parties du système globalisé[1. Elle a été utilisée en particulier par l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu célèbre dans son pays par sa prédiction argumentée, formulée en 2006, d’une crise de la dette privée aux États-Unis.]. En clair, que la catastrophe est devant nous. De fait, la récession gagne de nouveaux pays de la zone euro et les États-Unis ralentissent, tout comme les grands pays émergents − Chine, Inde et Brésil. Un chiffre, auquel on donne peu de publicité, résume la situation : le commerce mondial, qui s’accroissait à un rythme de près de 20% l’an à l’été 2011, subissait une décroissance de 3% à la fin du printemps 2012. Ce repli ne pose aucune difficulté d’interprétation : les grandes zones économiques du monde réduisent leurs importations. Nous sommes donc en présence d’une nouvelle crise de la demande qui semble ne pas épargner les pays émergents qui avaient échappé à la récession il y a quatre ans.[access capability= »lire_inedits »]
Le catoblépas Europe
Bien que l’heure soit passée d’ironiser sur les tribulations de l’Europe, l’image du catoblépas[2. Le catoblépas est une bête fabuleuse qui se dévore lui-même. Il ressemble à un buffle noir dont la tête est très lourde, ce qui fait qu’elle est toujours inclinée vers le sol car son cou est trop faible pour la porter. C’est heureux, car n’importe quel humain qui croise son regard meurt aussitôt (Wikipédia).] s’impose pour illustrer le drame du Vieux Continent. Comme l’animal légendaire inventé par les Anciens, le système économique européen semble se dévorer lui-même. Par un effet de contagion, les pays en difficulté ou en détresse, qu’on appelle avec dédain les PIIGS[3. PIIGS : Portugal, Ireland, Italy, Greece, Spain.], entraînent dans la récession leurs voisins mieux lotis. On s’efforcera donc de présenter simplement la situation disparate et enchevêtrée qui préside à l’enfoncement progressif de la zone euro et du Royaume-Uni.
Rappelons pour la bonne forme que la crise de la dette privée américaine, résumée sommairement comme crise du « subprime rate », a provoqué une récession occidentale, révélant la vulnérabilité de l’Europe à un choc extérieur venu des États-Unis et démentant le postulat idéologique de l’« euro bouclier ». Une double crise bancaire et industrielle en a résulté en Europe, n’épargnant aucun pays (l’Allemagne, dont on affirme avec raison qu’elle a le mieux maîtrisé l’épisode, a tout de même subi un déclin maximal de 29% de sa production industrielle entre l’hiver 2008 et l’hiver 2009…). Le rebond de la production opéré à partir de 2009 n’a pas permis de renouer avec une franche croissance. C’est alors que les prêteurs des États européens ont enfin pris conscience de l’hétérogénéité des économies concernées et que le second grand épisode, celui de la crise des dettes souveraines, s’est ouvert.
Insistons aussi sur le fait que les pays en crise violente, secourus depuis lors dans des conditions acrobatiques, ne relevaient pas tous du même chef d’accusation. La Grèce, faut-il encore le dire, a été sabordée par l’incivisme de ses ressortissants qui s’est conjugué avec la surévaluation de la monnaie unique au regard de la force intrinsèque du pays : un double refus du travail et de l’impôt a provoqué une faillite vouée à s’achever dans la grande pauvreté. L’Irlande, qui affichait en 2007 des comptes publics et extérieurs excédentaires, a basculé dans le gouffre financier creusé par ses banquiers en folie qui avaient acheté par l’emprunt d’innombrables actifs financiers et immobiliers, en Irlande et hors d’Irlande, des deux côtés de l’Atlantique. C’est un joueur ruiné par ses paris manqués que l’Europe a cru devoir secourir en 2010. Et on a, toute honte bue, fait peser sur les contribuables européens le fardeau du passif ainsi accumulé par les banques. Le Portugal, en revanche, n’a commis d’autre crime que de supporter la contrainte d’un euro exagérément fort tout en s’imaginant que la monnaie unique, qui était un boulet, lui ouvrirait une fois pour toutes les voies de la prospérité : c’est ainsi que les entreprises locales, stimulées par un optimisme irraisonné, sont passées au premier rang dans la zone euro au regard du taux d’endettement, égal en moyenne à seize fois leur « cash-flow ». Quant à l’Espagne, l’article récent que nous lui avons consacré nous dispense d’un nouveau et long commentaire. Mais il faut souligner encore que ce pays est, avec l’Italie, le plus susceptible de mettre fin au rêve européen.
L’Italie constitue la véritable énigme dans le paysage économique de la zone euro. Son économie, qui dispose de secteurs d’excellence, reste puissante. Ses comptes extérieurs sont moins dégradés que les nôtres, son budget est à l’équilibre, une fois déduits les intérêts de la dette. Deux facteurs portent néanmoins atteinte au crédit du Trésor public italien. Premièrement, le poids d’une dette accumulée durant les années 1970 et 1980, à la différence de celle de l’Espagne qui découle de la dépression économique récente : les sommes que l’État italien doit décaisser année après année pour honorer ses échéances l’empêchent de retrouver l’équilibre financier. Deuxièmement, l’impact des politiques de rigueur menées dans différents pays, qui portent atteinte à la capacité d’exportation des entreprises de la Péninsule. Or, Mario Monti, nommé pour tenter de remédier au discrédit de l’État italien, s’est engagé dans la même politique d’austérité que les autres pays dits « périphériques », au moment même où l’économie du pays vacillait. C’est ainsi qu’il a contribué à faire entrer à son tour celle-ci en récession.
Et voilà le catoblépas. Des politiques indiscriminées de réajustement budgétaires ont créé une spirale récessive qui s’élargit par étapes. Le Royaume-Uni est atteint, et même les Pays-Bas. La France commence à basculer en territoire négatif et l’Allemagne a cessé de créer des emplois. Outre-Rhin, on scrute mois après mois, les carnets de commande à l’exportation, avec l’espoir que les achats nouveaux du reste du monde viendront compenser les pertes de débouchés sur l’Europe en crise.
Les gouvernements qui se résignent à pratiquer l’austérité, au risque de précipiter leurs pays dans la récession, puis dans la dépression, ont des circonstances atténuantes : c’est une exigence des organismes supranationaux, Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne, ainsi que des prêteurs du marché du crédit qui sanctionnent le dérapage des déficits publics − et tous échappent à la sanction des urnes.
Reste que les neurones économiques de tous ceux qui se sont érigés en juges de la conduite des États fonctionnent bizarrement. Quand, à force de rigueur, les économies plongent dans une récession sans fin, quand les taux de chômage explosent, ils pratiquent ce qu’on peut qualifier de double peine, imposant de nouveaux plans de réajustement, de nouvelles coupes dans les dépenses, de nouveaux sacrifices fiscaux qu’ils tiennent pour le seul moyen de guérir les finances malades des États. Or, ces plans détruisent le peu de confiance que conservaient les investisseurs et les consommateurs.
Le tableau resterait incomplet si l’on ne prenait pas en compte les deux facteurs déterminants de la crise finale de l’euro et de l’Europe : la fuite des capitaux et la déflation salariale. Tandis que l’on s’obstine à « sauver » les pays du Sud par des injections d’argent public venu du Nord, l’argent privé du Sud rejoint le Nord, à savoir le Luxembourg, les Pays-bas et l’Allemagne. Une statistique officielle vient de révéler que 97 milliards d’euros avaient quitté les banques d’Espagne au premier trimestre 2012, soit le dixième du PIB local. Cela vaut évidemment pour la Grèce, Chypre, le Portugal et l’Irlande. On ne voit guère de parade à cette fuite puisque le contrôle des changes est impraticable au sein d’une zone monétaire. Ou alors il faudrait décider d’un gel des avoirs dans les banques, mesure dirigiste à laquelle répugnent les autorités publiques européennes[4. La fuite des capitaux au sein de la zone signifie qu’elle est rompue en fait, sinon en droit.].
La déflation salariale constitue le paramètre le plus discret de la terrible équation économique de l’Europe. Faute de pouvoir ajuster la parité excessive de l’euro qui les enserre comme un corset, les pays du Sud ont entamé un processus de réduction des salaires qui fait office de substitut à l’impossible dévaluation. Ils ajoutent ainsi une austérité spontanée à celle qui est infligée par les gouvernements. La baisse des salaires atteint ou dépasse 15% en Grèce, certes peu productive, mais aussi en Irlande, dont le solde commercial reste largement excédentaire. Mais le champion de la baisse des salaires est le Portugal, dont le salaire ouvrier a chuté à 10 euros de l’heure (moins du tiers du salaire correspondant en France ou en Allemagne), soit le montant observé en Slovaquie et au Brésil.
Le noir scénario de la crise européenne s’inscrit de surcroît dans un contexte mondial qui n’autorise plus l’optimisme. Les dirigeants économiques et les analystes américains déplorent la « sluggish and jobless recovery », la reprise anémique et sans emplois, qui contredit leurs attentes. Les grands pays émergents, qui ont fait naître les plus grands espoirs de sortie de la crise « par le haut », donnent à leur tour des signes de déprime. Autant dire que plus personne n’ose parler de la « mondialisation heureuse ».
La reprise anémique et sans emplois de l’Amérique
Les États-Unis, fauteurs du séisme de 2008, ont, durant trois ans, donné l’impression réconfortante qu’ils en ressortiraient plus forts qu’ils y étaient entrés. L’embellie économique amorcée au printemps 2009 a permis d’effacer, par étapes successives, les pertes de production issues de ce que les médias locaux appellent la « Grande Récession ». L’économie américaine est, avec la canadienne et l’allemande, la seule économie développée affichant un PIB légèrement supérieur à celui de l’hiver 2008. Ce résultat somme toute encourageant s’explique-t-il par la force intrinsèque des entreprises locales ? L’analyse conduit à une réponse nuancée.
Le premier facteur de l’embellie, le plus décisif selon nous, réside dans la faiblesse relative de la monnaie américaine vis-à-vis du yen japonais, du dollar du Canada (deuxième partenaire commercial des États-Unis après la Chine) et de notre cher euro. L’activité réalisée sur le sol américain, soit par les entreprises locales, soit par les entreprises étrangères, a bénéficié de cette sous-évaluation relative. Des producteurs aussi divers que Boeing, Caterpillar, John Deere, Intel et AMD (pour les microprocesseurs) ont pu développer leurs ventes à l’intérieur et à l’extérieur. Pour la première fois depuis trente ans, les exportations américaines ont connu un essor substantiel, passant de 130 à 180 milliards de dollars mensuels en quatre ans. Symétriquement, les importateurs européens ou japonais, tels que Toyota, Nissan, Volkswagen, BMW, Mercedes ont décidé de servir leur clientèle américaine à partir d’usines américaines, les exportations vers les États-Unis étant devenues perdantes en raison de la force du yen et de l’euro.
Le deuxième facteur, moins déterminant, tient au fait que les autorités ont laissé filer le déficit budgétaire et la dette publique, l’un et l’autre supérieurs à ce qu’ils sont dans la zone euro. L’administration Obama a pratiqué le « wait and see », tablant sur la reprise de l’activité et de l’emploi pour obtenir une amélioration spontanée des comptes publics. Les orientations budgétaires du président démocrate sont identiques, à très peu de choses près, à celles de George Bush Jr. Les baisses d’impôts massives de celui-ci ont été maintenues : ce faisant, les Américains paient aujourd’hui moins d’impôts qu’ils n’en ont jamais payé depuis la guerre, soit 10% de leur revenu disponible, alors que la fourchette historique se situe entre 11% et 19%. On peut donc dire qu’en combinant un faible taux d’imposition et de modestes dépenses civiles, l’administration au pouvoir n’a pas fait obstacle au dynamisme de l’économie.
Contrairement à ce que serine le discours médiatique dominant, la politique monétaire américaine n’a pas joué un rôle particulièrement appréciable. Certes, la relance monétaire massive de Ben Bernanke, à partir de l’automne 2008, a surpassé celles qu’avait pratiquées Alan Greenspan en 1993 et en 2001, en fixant pratiquement à zéro le taux des prêts de la Réserve fédérale. La Banque centrale américaine a injecté quelque 2300 milliards de dollars d’argent frais par des opérations savantes de « quantitative easing » − qui consistent en rachats d’obligations privées et publiques auprès des banques et des assureurs − financées par de la création monétaire. Mais les résultats ont été décevants. Malgré une baisse effective des taux du crédit hypothécaire, ramenés à leur plus bas niveau historique, malgré des conditions d’emprunt favorables pour les consommateurs, les ménages américains n’ont pas mordu à l’hameçon. Le montant de leur dette est aujourd’hui inférieur de 15% à ce qu’il était au moment de la crise financière, qui fut à l’origine de millions de banqueroutes. De ce fait, la construction n’a pas retrouvé ses niveaux habituels, les classes populaires n’ont pas consommé : le surcroît de consommation observé depuis trois ans résulte principalement de la désépargne des classes moyennes.
La conclusion, c’est que l’économie américaine offre une image quasiment inversée de celle qu’elle avait dans la décennie 2000 : plus orientée vers la production industrielle et de services non financiers que vers la surconsommation et la construction à crédit, elle se rapproche de la normale. Mais les dirigeants de Washington, dans l’Administration ou à la Banque centrale, hésitent encore à entériner cette bifurcation : ils continuent de nourrir le secret espoir que le grand secteur de la construction neuve, sinistré depuis cinq ans, va renaître de ses cendres, éventuellement au prix d’un endettement supplémentaire des ménages américains.
On peut les comprendre : ils vivent sous la hantise du chômage structurel. Les Américains connaissent aujourd’hui une situation proche de celle à laquelle les Européens se sont résignés. En effet, sur les 8,7 millions d’emplois détruits par la Grande Récession, un peu plus de quatre millions ont été recréés, ce qui laisse beaucoup de gens sur le carreau, érode le moral des ménages, freine les projets d’investissement des entreprises locales, mal assurées du lendemain, et, ainsi que nous venons de le dire, sape le moral des dirigeants de la Grande Nation.
Le moment est venu de mettre au jour le facteur caché du système américain. La crise n’a pas modifié l’élément crucial de la politique de régulation aux États-Unis qui est l’insuffisante rémunération du travail. Le pouvoir d’achat du travailleur américain stagne ou recule, même si on tient compte des augmentations généreusement octroyées aux cadres supérieurs. La déflation salariale discrète qui se poursuit aux États-Unis permet aux entreprises d’afficher des taux de profit sans précédent, encore supérieurs au pic atteint en 1943, quand elles bénéficiaient de l’effort de guerre et du blocage officiel des salaires. Mais ces profits record ne débouchent pas sur l’important mouvement de création d’emplois qui recréerait un climat de confiance. Dès lors, la question se pose : faut-il s’en réjouir ? Ces profits très élevés sont-ils la solution ou plutôt le problème ?
La difficulté est ici politique autant qu’intellectuelle. Politiquement, aucune Administration ne voudrait intervenir dans le fonctionnement du marché du travail. Les syndicats ont perdu leur influence ancienne et les employeurs restent maîtres du jeu : il y a longtemps déjà que l’actionnaire a pris le pas sur le salarié. Intellectuellement, la question de la rémunération du travail est sortie de l’agenda économique. Robert Reich, ancien ministre du Travail de Bill Clinton est le seul à plaider pour une rupture dans la trajectoire déflationniste : ainsi considère-t-il la politique de faible rémunération comme une austérité « privée » américaine qui fait pendant à l’austérité « publique » européenne[5. Voir son article : « A diabolical mix of US wages and European austerity », dans le Financial Times du 31 mai 2012.]. Mais il prêchera dans le désert tant que les États-Unis ne seront pas confrontés à une récidive de la crise qui les a cruellement atteints il y a quatre ans.
Retenons cependant deux points pour notre gouverne. Premier point : les perspectives de croissance américaines restent dépendantes d’une amélioration plus rapide de l’emploi qui gonflerait le pouvoir d’achat collectif, mais, pour ce faire, il faudrait que les employeurs se rallient à un accroissement des rémunérations de tous ordres, auquel ils se refusent. Deuxième point : les États-Unis, mieux portants que l’Europe ou le Japon, ne sont pourtant plus en mesure de jouer le rôle déterminant de consommateur en dernier ressort qui a maintenu la croissance mondiale dans les décennies 1990 et 2000, jusqu’au basculement de 2008. Or, il ne semble plus possible non plus de compter pour cela sur les eldorados nouveaux représentés dans l’imagerie médiatique par les grands pays émergents.
Quand la Chine s’arrêtera
Les trois grands pays émergents ralentissent. Les médias économiques commencent à s’en faire l’écho, sans tirer pour autant les conséquences ultimes de la nouvelle donne pour le système globalisé. La chute de la croissance indienne, tombée à la moitié des 7% enregistrés il y a encore peu, crée des difficultés budgétaires au gouvernement de New Delhi. La croissance brésilienne s’est brutalement affaiblie sous l’effet d’un retournement de la production industrielle qui diminue alors qu’elle s’accroissait au rythme impressionnant de 20% il y a encore trois ans. Cependant, ce sont les ratés de la puissance chinoise, la deuxième économie du monde selon les statistiques officielles, qui suscitent surtout l’interrogation et l’inquiétude : la Chine est devenue le premier importateur de biens d’équipement et de matières premières.
Une vive controverse vient d’éclater dans le petit monde des analystes et des journalistes spécialisés, tout spécialement dans le monde anglo-américain. Le gouvernement de Pékin avoue un ralentissement modéré de la croissance, au-dessous de 8% en rythme annuel. Or, quatre indicateurs permettent de mettre en doute cette annonce : la production et la consommation d’énergie, le trafic de marchandises par la voie ferroviaire, la construction résidentielle, les prêts aux ménages et aux PME. Tous ces indicateurs tendent vers zéro, voire en dessous. Ils laissent augurer d’un affaissement historique de l’essor chinois qui, rappelons-le, a fourni l’exemple le plus saisissant de l’histoire économique : trente-deux années consécutives de croissance située dans une fourchette entre 5% et 12%. Les analystes sont tiraillés entre la mise en cause des chiffres fournis par le pouvoir central et l’attente de leur vérification ultérieure.
Mais qu’y aurait-il d’extraordinaire si la Chine observait une pause, voire subissait un réajustement comme toutes les économies qui l’ont précédée sur la voie du développement ? Cette pause ou ce réajustement ne seraient-ils pas au contraire bienvenus ? Oui, à l’évidence d’un point de vue strictement chinois. Non, si l’on prend en considération les dommages collatéraux qu’une stagnation ou une récession chinoise infligeraient à la croissance mondiale, déjà vacillante, et au système globalisé ébranlé de tous côtés. Pour les tenants de la globalisation, l’essor chinois est vital.
De fait, la poursuite de l’expérience dépend non seulement du retour à la confiance dans les dettes souveraines en Europe, d’une création vigoureuse d’emplois aux États-Unis, mais aussi du maintien de perspectives favorables en Chine. Ce qui nous ramène à un événement déterminant de la période 2008-2012 : la relance massive de l’investissement public et privé dans l’empire du Milieu.
Cette relance a été décidée en 2008 lorsque les économistes chinois, plus perspicaces que les économistes occidentaux, ont convaincu les dirigeants de Pékin de l’entrée en récession des pays occidentaux. Pour échapper à l’enlisement qui pouvait en résulter, un vaste plan de relance a été décidé, à hauteur de 600 milliards de dollars, sous la double forme d’investissements dans les infrastructures et d’injections de crédit vers les entreprises. Avec des résultats indéniables : après un ralentissement de la croissance à 5% en 2009, la Chine a retrouvé un taux d’expansion à deux chiffres dès 2010. Mais ce faisant, elle a surinvesti, son taux d’investissement atteignant la proportion, sans précédent dans l’Histoire, de près de 50% du PIB. Son économie expérimente désormais les conséquences non désirées de cette politique de croissance à marche forcée. Les investissements publics et privés entrent dans leur phase d’amortissement, les entreprises endettées à l’excès commettent des défauts de paiement. Les indicateurs avancés qui mettent en émoi les analystes étrangers reflètent le réajustement d’un système économique qui connaît, comme bien d’autres avant lui, les effets à retardement du dopage qui lui a été administré.
Une récession chinoise constituerait, après la crise de la dette privée américaine et la crise des dettes publiques européennes, une sorte de Phase III de l’épisode historique que nous subissons. Elle retentirait sur les trois grands producteurs de biens d’équipement que sont le Japon, l’Allemagne et les États-Unis, mais aussi sur les exportateurs de matières premières, dépendants de la demande et des prix de leurs productions, Russie, Australie, Brésil, et maints pays d’Afrique. Le risque que la Chine fait désormais courir au reste du monde n’a rien d’imaginaire. Inutile d’expliquer aux excellents abonnés de Causeur que, si cette menace devenait une réalité, nous n’échapperions pas à une nouvelle dépression économique et, pour tout dire, à un Big Bang inversé dans la globalisation.[/access]
*Photo : gonzalo_ar
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