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Léo Malet ou l’inventeur du roman noir à la française

Lettres & dédicaces pour collectionneurs avertis de Léo Malet à François Guérif


Léo Malet ou l’inventeur du roman noir à la française
Léo Malet (1909-1996) © Ulf Andersen / Aurimages ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP

Parution de la correspondance entre le créateur de Nestor Burma et l’éditeur François Guérif.


Parfois, on oublie pourquoi on a aimé un auteur passionnément. Les années passent, on ne sait plus très bien ce qui a motivé un béguin de jeunesse, un emballement pour cette littérature dissidente qui catapulte les bons sentiments et les écrase sur le bitume délavé avec hargne. On s’embourgeoise, on lit désormais l’Ecclésiaste, on se pique de philosophie antique, on lorgne du côté des moralistes et on finit par passer à la télé dans une émission grand public. Demain, on signera, peut-être, sous la lumière blafarde d’une galerie marchande comme un ex-président en promotion perpétuelle.

L’amertume jouissive

Et puis, on tombe, par hasard, sur la correspondance entre Léo Malet et François Guérif, un amoncellement de lettres et dédicaces qui court entre 1972 et 1989, portant le titre aguicheur de Mon vieux Guérif, publié par La Grange Batelière, dans un beau volume qui s’adresse aux « collectionneurs avertis ». La bibliophilie m’ennuie quand elle sert à faire reluire l’égo et décorer les appartements sans charme des beaux quartiers. Mais là, j’ai retrouvé, intact et vipérin, mon Léo, toujours aussi instable et inguérissable, avec cette aigreur cristalline qui coule dans ses veines d’écrivain jamais installé, jamais content, jamais serein, en proie à une amertume jouissive. Malet (1909-1996) n’est pas un cajoleur du soir, un auteur pour pédagogues et humanistes en quête d’un message, c’est un surréaliste égaré dans les faubourgs du crime, un anar inconsolable de son cher foyer végétalien. Un anti-Maigret, plus qu’un anti-Simenon. Le véritable déchiqueteur de la littérature policière qui détourne le genre américain, détective à galurin et trench-coat pour l’assimiler au biotope parisien.

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Avec lui, le polar français avait trouvé son instigateur féroce et désabusé. Le pont de Tolbiac, le Boul’mich’, ou le 120, rue de la Gare dépassaient leur topographie absurde pour une existence littéraire, donc immortelle. Dans ces échanges épistolaires entre Guérif, jeune éditeur et directeur de la revue Polar et le vieux matou Malet, il y a presque une étude de cas sur la difficulté de vivre de sa plume dans la deuxième moitié du XXème siècle. Avec Malet, on entre directement dans la plaie, on n’a pas la prétention de parler littérature, on en vient à l’essentiel : le bifteck ! On écrit pour payer le loyer et les factures d’un pavillon de banlieue. On se bat pour ses droits. On lutte avec son éditeur pour lui arracher un pourcentage ridicule. On espère une adaptation ciné. On fait du gringue aux acteurs célèbres avec l’espoir que ses livres de poche à deux sous rapportent, un jour, un peu de monnaie. Voilà la réalité quotidienne, misérable souvent, d’un auteur, dernier maillon d’une chaîne et malgré tout acteur principal d’un business qui le dépasse et qui le gobe « tout cru ».

Un mauvais coucheur qui ne tend pas la sébile

Au début de leurs relations, Malet lui donne du « Cher monsieur », puis du « Mon cher supporter » et passe rapido à « Mon cher Guérif » pour définitivement lui balancer du « Mon vieux Guérif ». Ceux qui ont lu Malet et apprécié son dilettantisme rageur mais aussi ses œuvres plus anciennes publiées sous une myriade de pseudonymes (Frank Harding, Léo Latimer, etc…) ne seront pas dépaysés. Le bonhomme est d’une nature instable. Pas de la race des animaux de salons et cercles emperlousés. Malet, c’est une contrée sauvage avec ses codes et ses manières, l’argot, la fureur, la belle Hélène, la poisse et cette délicieuse impression que la rédemption est une histoire pour nigauds. On est déniaisé en lisant Burma, puis inévitablement emporté par ce parfum « Vieux Paris ». Il y a un cousinage avec Villon et tous les damnés du stylo bille. Dans ce paquet de lettres jaunies, on apprend l’origine de Marc Covet : « Lorsqu’il m’a fallu choisir un nom pour le complice de Nestor Burma, j’ai pensé à un autre complice, celui de Lupin dans 813 : un nommé Marco. Alors… Marco… MarCo… vet. Moralité : Burma doit à Fu-Manchu et Marc Covet à Lupin ».

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Malet est un mauvais coucheur qui ne tend pas la sébile, son caractère de cochon a quelque chose de merveilleusement frais dans une époque où la transparence est de mise. Il ne cache pas son admiration pour le vénérable Albert Simonin ou Alain Corneau (« c’est le seul réalisateur actuel qui traite avec sincérité le genre que nous aimons »), il cherche à se procurer l’adresse personnelle d’Eddy Mitchell, il s’amuse à envoyer des cartes de vœux pornographiques (montages mariant ses titres de livres et des photos cochonnes), il dit que les enfants l’ont toujours emmerdé et il évoque ses souvenirs de cinéma quand il fut introduit dans cette profession par Prévert. Cette liqueur de noirceur est à boire cul-sec !

Mon vieux Guérif – Lettres & dédicaces pour collectionneurs avertis de Léo Malet à François Guérif – La Grange Batelière.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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