Cette fois, Maïwenn a choisi de ne pas apparaître à l’écran. Pour son quatrième long métrage, la réalisatrice a définitivement tourné la page du documentaire nappé de narcissisme auto-satisfait dans lequel elle s’était fourvoyée à ses débuts. Déjà avec Polisse, Maïwenn réfrénait sa tendance à l’autofiction obsessionnelle et signait un film très perspicace sur la réalité vécue au quotidien par une équipe de la Brigade des mineurs de la police de Paris. Moins social, plus intimiste mais tout aussi pénétrant, Mon Roi met en scène, avec justesse et vivacité, un amour toxique entre un restaurateur, séduisant et séducteur, Giorgio, interprété par Vincent Cassel, et une avocate pénaliste, Tony. Pour ce rôle, Emmanuelle Bercot a été récompensée par le prix d’interprétation féminine à Cannes.
« Les histoires d’amour finissent mal… en général » chantent les Rita Mitsouko. Celle de Giorgio et Tony n’y coupe pas. Le film s’ouvre sur un accident. Dix années de passion dévastatrice se soldent pour Tony par une chute de ski. Bilan : déchirure les ligaments du genou. À la brisure morale correspond la blessure physique. On comprend que Tony chute pour mieux se relever et que cette déchirure physique, inconsciemment souhaitée, lui permet de rompre avec sa propre torture sentimentale. Immobilisée, obligée de réapprendre à marcher dans un centre de rééducation pour sportifs blessés, les souvenirs de sa relation chaotique avec Giorgio refont surface. Et aux flashs back qui affluent répondent les étapes de sa guérison.
Boudé par les critiques à Cannes, le film a été froidement accueilli à sa sortie en salle. Nombreux sont ceux qui ont reproché à cette histoire d’amour son hystérisation des sentiments et sa banalité. Pourtant, sans jamais tomber dans l’écueil du dolorisme, Maïwenn filme cet amour convulsif qui palpite et crépite, enchante et détruit. N’est-ce pas entre sublimation et destruction, entre ces deux extrêmes, que se situe la face ombrageuse de l’amour-passion ? Proust, Aragon, Albert Cohen, Stendhal n’ont pas franchement montré dans leurs romans que l’amour était synonyme de bonheur !
Si hystérie il y a, c’est l’hystérie d’une passion incompatible avec la lente construction d’une vie commune. Giorgio et Tony s’aiment mais d’un amour différent. Giorgio, c’est l’amour de l’union libre et sans contrainte, l’Eros au pied nu qui aime parce qu’il aime et qui se braque devant les exigences d’engagements mutuels de Tony qui, elle, incarne l’amour conjugal.
Pour Giorgio, l’habitude n’existe pas. C’est l’imprévisibilité qui est la norme. Un peu de magie et d’exubérance dans le monde prosaïque. Les pitreries et vannes hilarantes s’enchainement. Tout est emballement, emportement, tournoiement. La séduction opère et la tête finit par tourner. Plusieurs scènes truculentes ponctuent le film, comme celle de la pharmacie où Giorgio demande du Lexomil et du Viagra et balance sa blague sur le nouveau produit révolutionnaire : le Viazac, mélange de Viagra et de Prozac : « Tu bandes plus mais tu t’en fous ! » lance-t-il, avec la désinvolture qui le caractérise. Giorgio amuse son monde mais surtout abuse. Le mariage sera tout de même célébré mais pas question de passer la bague aux doigts. Un enfant naitra sans pour autant réunir le couple, chacun vivant chez soi. Des éclats de joie euphoriques on passe bien vite aux jaillissements de larmes, des fous rires aux cris de rage, des tourbillons colorés aux prostrations dépressives. Et le duo se transforme en un huis clos plombant et étouffant.
Maïwenn montre que s’engager avec l’être aimé et prendre la décision de rompre avec lui n’est pas un acte anodin mais bien tragique. Son film s’oppose à la conception mercantile de « l’amour à la carte » et de la « rupture pour tous » qui fait qu’à la moindre petite contrariété, on n’hésite pas à balancer sa bague de fiançailles et à envoyer valser ses voeux de fidélité mutuelle. Avec Mon roi, Maïwenn va à l’encontre de cet individualisme sentimental que rien ne trouble ni affecte. Elle heurte donc les convictions libertaires de la nouvelle grammaire amoureuse. Les Femen éventuellement présentes sentiront leurs seins se raidir d’effroi devant cette femme d’aujourd’hui amoureuse d’un macho qui la maltraite. Cet amour vache dépasse leur entendement, incapables qu’elles sont de comprendre qu’une femme libérée peut être séduite par le charme enivrant d’un joli coeur flamboyant et flambeur, qui transforme chaque moment de la vie bassement triviale en quelque chose d’unique, de drôle, de léger et continuer d’aimer, en dépit de toutes les souffrances accumulées, ce roi de la fête et des paillettes, ce « roi des connards » autoproclamé, égoïste et égocentrique.
On leur rétorquera que si la passion amoureuse peut être source de souffrance, c’est une souffrance encore plus grande que de ne jamais connaître la passion.
Isabelle Marchandier
Mon roi de Maiwenn, en salle depuis le 21 octobre.
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