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Mon Journal extime 2012 (2/2)


Mon Journal extime 2012 (2/2)

joelle miquel leroy

Juin

J’ai de la chance. Il y a les élections législatives. Je ne vais pas éprouver de baby blues. Cette manière de flou, de baisse de tension, de mélancolie qui suit la fin d’un roman. Baby blues aggravé par le fait d’avoir quitté une ville où l’on était bien, où, l’air de rien, on s’était fait des amis.

Heureusement, je prends la campagne en route. Ne pas négliger, dans le militantisme politique, ce côté « divertissement pascalien ». Tracter, faire les cages d’escalier, se réunir, coller, tout ça, ça occupe l’âme. On n’a pas la tête aux bêtises.

Ma circonscription est ingagnable, même en cas de vague rose. Elle recouvre un petit bout de Lille et de Tourcoing, mais surtout les banlieues chic de Marcq-en-Baroeul, Mouvaux, Bondues.

On a deux objectifs : empêcher le candidat de droite de passer dès le premier tour et surtout, pour le FDG, dépasser les 5 %, histoire d’être remboursé des frais de campagne. Les deux objectifs sont remplis. Il y aura un second tour et la candidate du FDG fait 5,16 %. Tout le bonheur d’une soirée peut tenir à ça : 0,16 %.

Juillet-août

La situation de la Grèce, après six ans d’austérité, de récession et de manifestations, paraît n’avoir pas changé. Pour la résumer en un mot, la Grèce est bleue. Et ça fait pas loin de trois mille ans.[access capability= »lire_inedits »]

Il y aura tout de même un signe qui ne trompe pas sur les désordres du temps.

Dans l’île où j’ai mes habitudes, une semaine avant la fin de mes vacances, le ciel est plein d’hélicoptères et des voitures de police débarquent par les ferries qui arrivent d’Athènes, à quatre heures de là. En me renseignant, j’apprends qu’il y a eu un hold-up dans la banque d’une station balnéaire branchée. Un chauffeur de taxi a été tué en voulant s’interposer.

Faire un hold-up dans une île grande comme un demi-canton français me semble pour le moins absurde, mais on m’explique que le pays vit un bank-run larvé depuis des mois. Impossible de trouver du liquide dans les distributeurs. Sauf, précisément, dans les zones touristiques.

Au moment où je repars, les truands n’ont toujours pas été arrêtés. Si ça se trouve, ils sont toujours coincés là-bas, avec des sacs d’euros inutiles, dans la montagne, entre un troupeau de moutons et une carrière de marbre.

Septembre

Je recommence à écrire, mais chez moi.

Je découvre, des mois après, ce qui me manquait à Brive : un chat. Mon chat. Un seul animal vous manque et tout est dépeuplé.

Deux choses importantes en septembre. Lors d’un cocktail dans une jolie cave voûtée de la rue des Bourdonnais, je rencontre Joëlle Miquel. C’est l’une des deux actrices, avec Jessica Ford, qui a joué dans mon Rohmer préféré, Quatre aventures de Reinette et Mirabelle. Malgré les années, je l’ai reconnue tout de suite. Elle en a été touchée. Je lui ai dit que je ne connaissais rien de plus émouvant que ses larmes dans le film, quand elle rate l’« heure bleue ». On a parlé de Rohmer et du temps qui passe, on a échangé nos cartes, on a promis de se revoir.

La seconde chose, c’est la manifestation du 30 septembre contre la ratification du TSCG. 80 000 tout de même, et au soleil.

Je rêve d’un monde sans TSCG où les filles parleraient comme Reinette et Mirabelle et où rien ne serait plus important que de ne pas rater l’« heure bleue ». Et je suis de plus en plus certain que l’un est la condition nécessaire de l’autre.

Octobre

Je reprends des trains. Blondin termine L’Humeur vagabonde en écrivant : « Un jour, nous prendrons des trains qui partent. » Moi, ça n’arrête pas. Trois jours aux Cafés littéraires de Montélimar. Toujours surpris par des gens qui prennent le temps, en semaine, de venir écouter, dans un bar ou une salle de restaurant, un écrivain qu’ils ne connaissent pas forcément. Surpris et reconnaissant.

Je retrouve à Montélimar Serge Quadruppani, un autre auteur de roman noir. Il vit désormais sur le plateau de Millevaches, après avoir longtemps hanté les milieux de l’autonomie parisienne. Quand j’étais à Brive, je suis allé le voir. Il m’avait montré le mont Gargan où Guingouin, le « préfet du maquis », a mené une bataille rangée qu’il a gagnée contre les SS et la Milice en juillet 1944. Et puis, ce qui n’est pas contradictoire, le seul monument aux morts pacifiste de France, dans la commune de Gentioux : un petit garçon en blouse de paysan qui pointe un doigt vengeur : « Maudite soit la guerre ! ». Ensuite, nous étions allés nous rafraîchir dans une épicerie-café de Tarnac, qui n’est pas très loin et où il connaissait du monde.

Novembre

À Prague, il y avait trop de touristes en ces vacances de Toussaint, car Prague est assez centrale, comme l’ont remarqué les géographes. L’Europe s’y était donné rendez-vous sur le pont Charles.

J’ai quand même été un peu tranquille dans le nouveau musée Kafka sur Kampa, et aussi dans l’étonnant musée du communisme, qui se trouve au premier étage d’un immeuble néo-baroque, au-dessus d’un McDonald’s. Le raccourci est presque trop évident. En fait, c’est surtout un musée de l’anticommunisme. On voit des affiches d’époque, des salles de classe, des intérieurs, des magasins reconstitués. Ce ne sont pas les objets exposés, d’ailleurs, qui en font un musée de l’anticommunisme, mais les commentaires et les notices. J’ai pensé à ce film de Chris Marker, mort en 2012, qui avait montré la même scène, dans une ville de Sibérie, d’abord en l’assortissant d’un commentaire favorable sur les avancées soviétiques, puis en inversant son propos.

D’ailleurs, quand on en sort, du musée de l’anticommunisme, c’est fou le nombre de cartes postales, d’insignes, de vieux journaux et de calots de soldats datant de l’époque communiste qu’on peut acheter si on veut.

Comment disait Debord, paraphrasant Hegel, déjà ? Ah oui : « Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

Décembre

Pendant la fin du monde, je lis Aragon, mort le 24 décembre 1982, et y trouve un poème qui résume assez bien mon année :

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays.

 

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Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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