On gagne beaucoup de temps mettant à profit ses heures de travail pour ouvrir un roman, un bon, s’entend. Essayez, vous verrez. Plutôt que de suivre H24, le nez collé sur l’écran plat, les rebondissements du procès Clearstream, plongez-vous dans La Compagnie de Robert Littell ou dans La quatrième Durango de Ross Thomas.
On peut même, à condition d’avoir un collègue qui badge en votre lieu et place avec dextérité, sécher le bureau de temps à autre et aller voir dans les salles d’art et essai quelques bons vieux films, américains eux aussi, cela va de soi. Par exemple Sens unique de Roger Donaldson ou La Prisonnière espagnole de David Mamet
Toutes ces œuvres, qui n’ont a priori pas grand chose en commun – à part d’être plus crédibles qu’un listing d’Imad Lahoud et méchamment mieux troussées qu’un roman de Denis Robert –, nous disent tout ce qu’il faut savoir sur l’affaire Clearstram.
Vous n’y verrez bien sûr rien sur les secrets de la banque luxembourgeoise ou sur le tripatouillage intéressé de son fichier clients. En revanche, vous y découvrirez des superbes mécaniques d’intoxication, de désinformation, de déstabilisation, toutes assises, dès leur conception, sur une manip visant à faire passer la cible d’un complot pour l’instigateur de celui-ci. En refermant l’un de ces livres, ou après avoir vu un de ces films, vous aurez au moins compris qu’il est parfaitement vain de savoir qui de Villepin ou de Sarkozy est le faux coupable et qui la fausse victime, à moins d’avoir des opinions arrêtées sur la problématique de l’œuf et de la poule.
Une fois qu’on suppute tout ça, l’amertume, plus que l’aventure, est au coin de la rue. Mais c’est pas grave. Au moins, vous saurez que vous ne saurez rien. Socrate l’a dit il y a 2500 ans, et à ma connaissance, c’est toujours d’actu. Car le pire client, pour ceux qui font la politique aujourd’hui, c’est celui qui sait qu’on lui raconte des histoires. Et donc écoute d’une oreille parfois attentive, parfois distraite mais toujours en n’en pensant pas moins, bref celui qui peut rêver de lendemains qui chantent sans pour autant croire au Père Noël (cette dernière allusion n’est pas tout à fait gratuite : Santa Claus a été inventé par des communicants, ceux de Coca-Cola en l’espèce).
Maintenant que j’ai clairement exposé qu’à mon humble avis, on ne saura jamais qui de DDV ou de NS qui a cherché en premier à niquer l’autre, on pourrait croire l’affaire purgée. Erreur. Reste une ultime hypothèse. Et si nos Machiavel’s Twins postnéogaullistes étaient tous deux innocents ?
Là, ce n’est pas vers la littérature ou le cinéma qu’il faut se tourner, pour entrevoir une solution viable mais vers l’exquise contre-culture corporate (là encore , elle est souvent d’origine US, mais je n’y peux rien si ça me parle plus que Derrida ou Bourdieu). Contre-culture qui nous a donné des petits bijoux tels la loi de Murphy (la tartine tombe toujours sur la face beurrée) ; la loi de Barton (en connectant une prise USB sur le port ad hoc, on est certain de la brancher du mauvais côté), ou encore la fabuleuse loi de Hofstadter sur les délais, process et autres rétroplannings qui stipule : « Ça prend toujours plus de temps qu’on croit, même en prenant en compte la loi de Hofstadter. » Rien de tout cela ne concerne directement Clearstream (quoique, mais bon…).
En revanche, on est en plein dedans avec un autre théorème issu de la vie de bureau : le Rasoir d’Hanlon,. C’est une plaisante dérivation d’un incontournable de la philo médiévale, le fameux « rasoir d’Ockham » : en VO « Entia non sunt multiplicanda prater necessitatem », en VF simplifiée : « Entre deux hypothèses valables, choisissez la plus simple. » Or pour Hanlon, la bêtise humaine est universellement la solution la plus simple à bien des équations réputées insolubles.
La loi du rasoir d’Hanlon s’énonce ainsi : « Never attribute to malice that which can be adequately explained by stupidity » ce qui signifie en gros : « N’attribuez jamais au calcul ce que la stupidité suffit à expliquer. »
Si ça se trouve, c’est la vraie bonne piste, et plus je regarde Rondot et Gergorin, ou encore Lahoud et Denis Robert, et plus j’y crois : et si tout ça n’était qu’une conjuration des imbéciles ?
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