Avec une voiture, on a d’abord un rapport physique. Et au volant d’un bolide de course, on conduit avec ses tripes. On met à l’épreuve ses propres limites, autant que celles du moteur, pour faire l’expérience de la démesure. Souvenirs.
Objet culte, la voiture fait son apparition dans les années 1870. À Amédée Bollée, fondeur de cloches au Mans, reviennent l’honneur et la joie de la première apparition publique aux commandes d’une voiture de 12 places, « L’Obéissante », propulsée par la vapeur. En 1875, avec un nouveau prototype, « La Mancelle », il parcourt Le Mans-Paris-Le Mans, soit 500 km, en dix-huit heures, exploit authentifié par 75 procès-verbaux. Hors-la-loi, Bollée, la réglementation n’autorisait que la circulation de véhicules tirés par des chevaux ! En 1878, il produit et vend quarante « Mancelle ». La concurrence surgit immédiatement : Panhard, Levassor, Peugeot, de Dion-Bouton. En Allemagne, Daimler et Benz créent le moteur à essence. En France, Gustave Trouvé invente le moteur électrique et le 29 avril 1890, à Achères près de Paris, le Belge Camille Jénatzy, au volant d’une voiture électrique, « La Jamais contente », atteint 105,882 km/h.
L’auto égaye la vie
Bien que réservée à une élite, la voiture, en quelques décennies, brise le carcan originel, horizon circonscrit à une centaine de kilomètres aux alentours du village. La voiture, c’est l’évasion, les voyages, la liberté et une nouvelle fraternité avec les autostoppeurs en resquille d’aventures, pouce levé en bordure de route comme sur la mythique nationale 7.
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Qu’elle soit rutilante limousine, rugissante sportive, grinçantes ferrailles, la bagnole vaut le coin de paradis pour les élans d’amour ou les clandestines cabrioles. L’auto égaye la vie, soulage nos servitudes et, puis, il y a le plaisir incommensurable que tout adolescent attend, impatient : conduire ! Prendre le volant à pleines paumes, corps en épousailles du châssis, sentir le précaire équilibre de la tenue de route, tripes au diapason des vibrations, oreilles à l’affût du vrombissement du moteur pour le soulager d’un prompt passage de vitesse et, au fur et à mesure, raccourcir les distances de freinage. Toutes mes années de gosse, calé sur le siège derrière mon père, j’ai mimé les gestes décrits dans une revue de sport auto par John Surtees, champion du monde et vainqueur des 24 heures du Mans. M’en germa la folie de devenir pilote. Déterminé au point de jurer de ne jamais boire la moindre goutte d’alcool, de ne jamais fumer une cigarette et de m’astreindre à une gym quotidienne. Ascétisme précoce et jubilatoire qui forgea ma volonté et gouverne encore ma vie.
La voiture, compagne d’aventures
Par deux fois, en 1979 et 1986, j’ai couru les 24 heures du Mans. Instants magiques, paroxysmiques, qui me placent dans le camp des irréductibles défenseurs de la voiture et des courses auto, convaincu que c’est par les défis de l’extrême que l’homme taquine la transcendance. Bien plus qu’un moyen de déplacement, la voiture propulse l’homme dans une autre dimension, monde de sensations uniques, vertigineuses, bastringue de la démesure, tutoiement du sublime… L’apothéose pour l’audacieux, c’est le dépassement des 350 km/h au milieu des arbres dans la ligne droite des Hunaudières sur le circuit du Mans, temple de la déraison, 13,5 km de folie ouverts aux champions. J’ai obtenu le sésame par dérogation, grâce à mes performances sur une monoplace à l’école de pilotage de Magny-Cours et une quatrième place aux 24 heures du Castelet pour mon baptême en compétition. Mais à mon arrivée au circuit, les chocottes, les vraies, carambolent mon euphorie. Horreur, cauchemar, jamais je ne serai capable de piloter le bolide que je découvrais à moitié désossé, entrailles auscultées par une nuée de mécaniciens. Pas un ne lève la tête quand le patron de l’écurie me présente. Mon crâne baratte le noir jusqu’aux essais qualificatifs. Une fois passée la combinaison, magie de l’habit, l’angoisse se dissipe, je me sens élu des dieux, impatient de me glisser dans la 47 d’où s’extrait Jean-Philippe Grand, l’un de mes deux coéquipiers. « Elle va vraiment bien, aboie-t-il une fois son casque retiré, elle est un peu vive en courbe mais on la tient à petites touches », le tout accompagné d’une tape fraternelle sur l’épaule. Me voilà seul face à mon rêve : obtenir ma qualification. J’infiltre des boules antibruit dans les oreilles, enfile la cagoule pare-feu, puis mon casque et me glisse au volant à ras du sol. Un mécano abat la portière et m’emprisonne dans le cockpit. L’espace est si étroit qu’une main ne pourrait passer entre le toit et mon casque. J’appuie sur le démarreur, les 550 chevaux mugissent, tintamarre d’enfer, j’enclenche la première, la 47 jaillit en léger travers, je la rattrape au contre-braquage, deuxième, troisième, je fuse dans la grande courbe Dunlop, plonge dans la descente vers les S d’Indianapolis, déboule vers la gauche, freine trop tôt, deux voitures me sautent et contrarient ma plongée à la corde, légère glissade, rattrapage par petits coups de volant, la 47 obéit, j’accélère, jaillis dans la fameuse ligne droite… cinquième, sixième… 280… 300… 310… holà !… que se passe-t-il ?… je louvoie droite, gauche, je soulage, au tour suivant, l’emballement reprend, je l’ignore, il faut que je reste à fond pour me qualifier… droite-gauche, la gigue s’amplifie, une voix me crie de lever le pied, je l’occulte, pas question de mollir, sinon, adieu la qualif, pied à fond… plus de 300… la piste rétrécit, suis comme propulsé dans un entonnoir, c’est l’effet tunnel… le chaloupage s’accroît… Reste à fond… 320… la dérive se stabilise à un mètre d’amplitude… 340… 350… je catapulte dans la grande courbe… j’exulte, sens exacerbés, en fusion avec la 47… j’enchaîne les virages en extralucide, deux tours suffisent à ma qualification. Retour au stand sous les ovations, les mécaniciens radieux m’agrippent, m’extirpent de mon baquet, me voilà brinqueballé aux accolades et embrassades. Félicité ! Elle se renouvelle le dimanche quand Jacques Goudchaux, mon deuxième coéquipier, franchit la ligne à la 13e place au classement général.
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Comment après de tels frissons, ne pas dégorger à pleins poumons : « Vive la voiture ! » C’est en offrant aux jeunes l’opportunité de telles démesures qu’on leur inocule le goût du surpassement et leur évite l’avachissement. Gnognotte, le CO2 dégagé par les autos, de l’infinitésimal en comparaison de toutes les consommations inutiles. Et, puis, cette obsession du CO2 est-elle si légitime au regard de ce que l’on sait de l’histoire du climat ? Défions-nous des experts et de leurs suppôts écolos, prosélytes par ailleurs, du multiculturalisme, de l’indigénisme, du néoféminisme et de toutes les délétères fragmentations. Oui au doute, non, à la dictature des certitudes !