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Molécules pour les nuls


Molécules pour les nuls

Le prochain qui la ramène avec la cuisine moléculaire, je lui envoie un bidon d’azote liquide en travers de la tronche. Il n’y a plus une émission de télé, de radio, un papier dans le journal, une carte dans un restaurant qui ne vous les brisent menu-menu à célébrer ces chefs qui ne vont plus en cuisine sans déballer leur panoplie de petit chimiste.

Gomme de caroube, lécithine, agar-agar, alginate, calcium et xanthane : ces additifs étaient l’apanage de l’industrie agro-alimentaire et jusqu’à peu on vomissait rien qu’en lisant leur nom. On vous les sert maintenant sur assiette (ou le plus souvent en cuillère) au prix du caviar. Infantilisation des papilles et des goûts : le produit s’efface à la vue pour ne plus ressembler qu’à une vague fraise Tagada, la préhension est réduite à la cuillérée (celle que l’on donne à bébé), la mastication disparaît…

La nouvelle cuisine ne faisant plus recette, les années 1990 avaient vu les grandes tables françaises revenir au produit. On le célébrait, on en vantait les qualités, on en éprouvait le goût. On redécouvrait alors soudain ce que nos mères nourricières n’avaient jamais oublié, à savoir que l’andouillette doit un peu sentir la merde mais pas trop, que la viande se laisse mûrir agréablement, qu’il faut du beurre (beaucoup) dans la purée et qu’un fromage qui ne pue pas est aussi souriant qu’un quintal de Vache-Qui-Rit.

Et Hervé This apparut. Et Pierre Gagnaire fut son prophète. Le premier est chimiste, il a une sale manie : dès qu’il voit quelque chose de comestible, il le fout dans une éprouvette, rajoute des additifs – faut que ça mousse – et avale ça d’un trait. Bon, chacun son truc. Le problème, c’est qu’Hervé This fit des émules, à commencer par Gagnaire (New York – Paris – Hong Kong), Veyrat ou encore Biasolo. Et, par contamination, la cuisine moléculaire gagna jusqu’aux meilleurs établissements.

Seulement, tout ne semble plus être très rose au paradis des molécules. Le critique allemand Jorg Zipprik vient de publier en Espagne un livre dénonçant la cuisine moléculaire. A Londres, le restaurant The Fat Duck, tenu par Heston Blumenthal et que le Michelin avait érigé en restaurant de l’année en 2001, vous servait hier encore des platées entières de bonnes grosses molécules : il a été fermé pour intoxication alimentaire. On ne sait pas encore si c’est l’alginate ou l’agar-agar qui en est la cause, mais ça n’a pas passé.

Bon, comme on n’est pas rat, on va généreusement vous offrir une recette moléculaire. Prenez un demi-litre d’eau du robinet (H2O, résidus de CI, sels minéraux), introduisez dans ce volume une quantité d’énergie assez suffisante pour que les particules aqueuses s’agitent d’un mouvement cinétique (bref, mettez la casserole sur le feu). Plongez un œuf dans le liquide en ébullition. Abandonnez-le 3 minutes. Cassez le dessus de la coquille avec la pointe d’un couteau : vous constaterez que le miracle de la chimie aura opéré ! Sans lécithine, ni azote, sans l’aide même des tenants zélés de la cuisine moléculaire que nous invitons à aller se faire cuire un œuf.

Texte paru sur le Carnet Gastro de Tristan Brillat.



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Tristan Brillat est critique gastronomique, toujours de bon appétit et parfois de mauvaise humeur. <a href="http://carnet.causeur.fr/gastro">Table ouverte sur son Carnet.</a>

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