Pour la penseuse Layla F. Saad, votre antiracisme n’est que de façade ou relève du «complexe du sauveur blanc». Heureusement, elle a une méthode pour y remédier, qu’elle partage dans un livre qui vient de sortir en français. Bienvenue chez les fous.
Pour Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, « la suprématie blanche et les mouvements néo-nazis » sont « une menace transnationale ». Pourtant, contrairement à ce que pense M. Guterres, nous souffrons plus actuellement de la profusion de penseurs dénonçant la “suprématie blanche” que de celle des suprémacistes eux-mêmes !
Tous conditionnés
Les rayons des librairies et de Sciences Po débordent de leurs ouvrages édifiants. Parmi ceux-là, Moi et la suprématie blanche, de Layla F. Saad. L’avant-propos est écrit par Robin DiAngelo, dont le livre La fragilité blanche est également recommandé aux étudiants de Sciences Po. La suprématie blanche étant « le système social le plus complexe de ces derniers siècles », le blanc doit réfléchir à sa complicité avec ce système raciste et s’informer sur son racisme et ses conséquences, écrit-elle. Pour cela, Layla F. Saad « nous propose un plan d’action » et nous guide « dans une analyse profonde de [notre] conditionnement racial blanc ». Elle sera en quelque sorte notre coach en développement antiraciste personnel.
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Après s’être présentée – femme, noire, musulmane, britannique vivant au Qatar – Layla F. Saad dit avoir écrit ce livre « parce que les personnes de couleur du monde entier méritent d’être considérées avec dignité et respect, ce dont la suprématie blanche les prive. » Selon elle, la suprématie blanche serait une idéologie, « un système institutionnel et une vision du monde dont [nous avons] hérité en vertu de [nos] privilèges blancs. » Et ce système est tellement bien ficelé et retors qu’il nous endort. Nous ne sommes pas conscients des conséquences de nos privilèges en tant que blancs. La coach en développement antiraciste personnel va par conséquent nous ouvrir les yeux.
La ritournelle du privilège blanc
D’abord, mettons-nous bien d’accord : les blancs seraient tous détenteurs de privilèges blancs, ils seraient tous racistes sans le savoir, et ils seraient tous avantagés par le système blanc. Quant aux non-blancs pas suffisamment foncés, les « personnes de couleur au teint clair », ils devront adapter les questions soulevées par notre coach « pour qu’elles correspondent mieux à [leur] vécu en tant que détenteur de privilèges blancs qui n’est pas blanc pour autant. » C’est très très pointu. Souhaitons bon courage aux métis !
Attention, prévient alors Layla F. Saad, « ce travail remuera certainement en vous beaucoup d’émotions contradictoires, y compris de la honte, du désarroi, de la peur, de la colère, des remords, du chagrin et de l’angoisse. » Pour le moment, il provoque surtout mon hilarité. Pédagogue, notre coach propose ensuite un travail de rééducation antiraciste étalé sur quatre semaines :
Semaine 1. Le blanc est appelé à se familiariser avec certaines notions : privilège blanc, fragilité blanche, mutisme blanc, supériorité blanche, exceptionnalisme blanc. Il lui est également demandé de « creuser dans les recoins de [sa] personnalité qu’[il] ne connaît pas encore. » Personnellement, je ne sais pas si la semaine suffira – mais je pressens que pour certains, même étudiant à Sciences Po, ce sera beaucoup trop.
Semaine 2. Le blanc doit se regarder dans le blanc des yeux et s’interroger sur sa « cécité à la couleur », ses « stéréotypes racistes », son racisme envers les femmes, les hommes et les enfants noirs. Avertissement : cette semaine peut être un moment douloureux pour “les personnes de couleur passant pour blanches”: « Votre privilège blanc vous place du côté des oppresseurs et votre identité raciale non blanche vous place du côté des opprimés. » La coach conseille par conséquent de travailler en groupe.
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Semaine 3. En tant que blanc conscient de vos privilèges, vous pouvez vouloir devenir un “allié” antiraciste. Mais, explique Mme Saad, cette solidarité n’est souvent qu’une façade, une manifestation « d’autocentrisme blanc » ou relevant du « complexe du sauveur blanc ». Dans ce cas, « votre impact est plus négatif que positif ». Pour éviter le piège d’une fausse solidarité, il vous faut analyser certains de vos comportements : “l’apathie blanche”, “l’autocentrisme blanc”, “l’instrumentalisation”, la “solidarité factice”. Il y a quoi au-dessus de “mea maxima culpa” ?
Semaine 4. Vous devez maintenant vous confronter aux autres blancs, détenteurs de privilèges blancs mais qui ignorent ou feignent d’ignorer leurs privilèges. Le féminisme blanc, les leaders blancs, les amis blancs et la famille blanche passent à la moulinette. Je comprends mieux maintenant l’expression “laver plus blanc que blanc.”
« Vos réponses vous ont révélé ce que vous deviez voir sur votre complicité et votre relation avec la suprématie blanche », conclut notre coach antiraciste. Le blanc, exténué, a maintenant une « base solide pour avancer dans son combat antiraciste. » Ce qu’il y a de bien avec ce genre d’ouvrages, courts, instructifs, intellectuellement au-dessus du lot (!), c’est qu’on a vraiment l’impression, après lecture, d’être plus intelligent qu’avant. On comprend mieux pourquoi Sciences Po a tenu à promouvoir ce livre auprès des futures élites de ce pays. Notons que pour s’informer sur la crise climatique, Sciences Po recommande également à ses étudiants de potasser l’appel de Greta Thunberg, Notre maison brûle. Et dire qu’il y en a qui pensent que le niveau baisse…
Nota Bene: Mme Saad peut être fière de sa méthode. Suivant son exemple et celui des journalistes du New York Times, après seulement quatre semaines de coaching antiraciste, chacun aura noté que je n’écris plus le mot “blanc” qu’avec un petit “b” riquiqui. Plus intelligent qu’avant, vous dis-je.
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