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Mohammad Rasoulof: et pourtant, il tourne!

Tant qu’il y aura des films


Mohammad Rasoulof: et pourtant, il tourne!
© Pyramide Distribution

La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, même si l’on peut se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant: « Les Graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof


Les Graines du figuier sauvage est l’un des titres les plus poétiques et les plus mystérieux du dernier Festival de Cannes, et le film qui se cache derrière a tenu toutes ces promesses. Le jury ne s’y est heureusement pas trompé, il a décerné son « Prix spécial » à l’œuvre écrite et réalisée par le très talentueux cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Rappelons en préambule que ce dernier ne cesse depuis 2010 de guerroyer avec les autorités de Téhéran. Cette année-là, il est arrêté avec son collègue Jafar Panahi pour « actes et propagandes hostiles à la République islamique d’Iran » et condamné à un an de prison. Neuf ans et trois films plus tard, dont le brillant Un homme intègre, il est inculpé pour des faits similaires et condamné à la même peine. En 2020, son film Le diable n’existe pas,charge implacable contre la peine de mort, remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin mais, interdit de sortie de territoire, le réalisateur ne peut aller chercher son prix en Allemagne. Son cauchemar se poursuit en juillet 2022 avec une nouvelle arrestation qui fait suite à la publication d’une tribune critiquant vertement l’attitude des forces de l’ordre dans la répression des manifestations populaires. Et en 2024, le cinéaste est condamné à huit ans de prison dont cinq ferme pour « collusion contre la sécurité nationale ». Et pourtant… il tourne ! comme l’a prouvé la sélection cannoise de ces Graines du figuier sauvage. Et c’est clandestinement, le 12 mai dernier, qu’il a quitté son pays pour rejoindre la Croisette.

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Que l’on ne s’y trompe pas : Rasoulof est un véritable cinéaste dont la carte d’identité artistique ne saurait se résumer à son seul statut de victime politique d’un régime islamiste autoritaire. Ses films précédents parlent pour lui et ce dixième long métrage en apporte une nouvelle et éclatante preuve. Rasoulof y raconte l’histoire d’Iman, avocat de formation, qui vient d’être nommé juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Sa mission est simple : approuver des condamnations à mort d’opposants politiques sans s’embarrasser de preuves. À charge pour lui de n’en rien dire à ses amis et à ses proches afin d’éviter toute pression. Le tout dans un contexte social de plus en plus explosif puisque les manifestations contre le port obligatoire du hijab se multiplient. Son fragile équilibre bascule le jour où sa femme et leurs deux filles aident un manifestant blessé…

Comme à son habitude, Rasoulof ne prend pas de gants pour décrire la situation politique, morale et sociale d’un Iran profondément déchiré. Petit à petit, le personnage principal développe à l’égard de sa propre famille une incroyable et abyssale paranoïa qui en dit long sur le régime iranien lui-même et les comportements qu’il génère chez ceux qui le servent. Implacablement, Rasoulof déploie une trame narrative au centre de laquelle il place un revolver qui disparaît. Soit un idéal « Mac Guffin », selon la terminologie en vigueur chez Hitchcock qui désignait ainsi un objet alibi et leurre à la fois, présent tout au long du film. Car Rasoulof connaît mieux que quiconque les nécessités du suspense : il tient son spectateur en haleine, là où il aurait pu se contenter d’un propos politique qui lui aurait valu toutes les récompenses. Servi par un casting impeccable, il va plus loin, alimentant sans cesse sa fiction en la confrontant à de saisissantes images d’archives prises par des manifestants durant de véritables épisodes de guérilla urbaine et de répression policière. Le cinéma ne peut assurément changer le monde, mais un film comme celui de Rasoulof redonne tout simplement confiance en la capacité des artistes à témoigner sans jamais baisser la garde de la créativité et de la subjectivité qui va avec.

Sortie ce 18 septembre

Septembre 2024 - Causeur #126

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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