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Mobilisation «partielle»: back in the USSR

Gil Mihaely commente la nouvelle mobilisation militaire en Russie


Mobilisation «partielle»: back in the USSR
Le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou, Moscou, 21 septembre 2022 © Vadim Savitskii/SPUTNIK/SIPA

Avec cette nouvelle politique de mobilisation en Russie, la guerre en Ukraine gagne en épaisseur stratégique. Il ne s’agit plus uniquement de l’évolution des rapports de force militaires sur le terrain, dans le Donbass ou les oblasts de Kherson et Zaporijjia. Désormais, avec les récentes déclarations de Vladimir Poutine et de son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, la lutte se déplace aussi dans l’arène politique et sociale, à l’intérieur même de la Russie. L’armée russe est en mauvaise passe: la société et l’économie russes permettront-elles à Poutine de sauver son pouvoir? 

Le Kremlin, qui avait envisagé dans un premier temps une guerre menée rapidement et à peu de frais par une partie des forces armées seulement, se voit obligé de mobiliser plus de moyens. Et donc d’impliquer de plus en plus les citoyens de la Fédération de Russie, mais pas uniquement. Le président de la Fédération russe a convoqué les patrons de l’industrie de défense, pour les intégrer également dans un effort de guerre qui s’inscrit de plus en plus dans la durée et mobilise de plus en plus les moyens du pays.    

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De la part des dirigeants russes, il s’agit là d’un pari considérable. Rapidement, il leur faudra passer à la caisse, et payer chèrement en monnaie politique mais aussi économique, pour avoir, dans quelques mois seulement, des unités de qualité au mieux médiocre. La mobilisation risque en effet de créer et d’accentuer des tensions en Russie, d’alimenter l’opposition à la guerre d’abord, et au régime ensuite. C’est également un prélèvement important sur les forces de travail et de production du pays, qu’il faudra désormais nourrir, loger, vêtir, équiper et soigner.

Les critères de «mobilisation partielle» de Poutine déjà transgressés!

D’un point de vue technique, cette « mobilisation partielle » – notons ici que l’adjectif « partielle » est probablement l’équivalent parfait de l’adjectif « spéciale », utilisé jusqu’à présent dans « opération spéciale » par le régime – devrait probablement permettre d’atteindre le quota fixé des 300 000 personnes mobilisées. Cependant, il est peu probable qu’elle apporte de très bons soldats et des unités opérationnellement efficaces sur le front. 

Les autorités russes recrutent en effet de force certains citoyens pour aller combattre en Ukraine, en flagrante violation de la promesse initiale du Kremlin de ne recruter que des personnes ayant une expérience militaire. On peut s’attendre à ce que cette campagne brutale de mobilisation exacerbe le ressentiment à l’égard d’une mesure qui aurait été impopulaire de toute façon, même si elle avait été mise en œuvre aimablement. 

Depuis sa déclaration du 21 septembre, le Kremlin n’a pas attendu 24 heures pour transgresser ouvertement ses propres critères de « mobilisation partielle ». Ainsi, après avoir affirmé que la mobilisation ne concernerait que les hommes ayant une expérience militaire antérieure, et se limiterait seulement à ceux inscrits sur les listes de réservistes, le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a déclaré le 22 septembre que la pratique consistant à administrer des avis de mobilisation aux manifestants détenus ne contredisait pas la loi de mobilisation datant de la veille… Un étudiant, à l’université de Bouriatie, au nord de la Mongolie, a par ailleurs diffusé des images de la police militaire et de la Rosgvardia (la garde nationale) en train de faire sortir des étudiants de leurs cours, en vue d’une mobilisation, et cela en dépit du fait que le ministre russe de la Défense ait déclaré à plusieurs reprises que les étudiants n’étaient pas mobilisés ! Faut-il en conclure que la bureaucratie russe n’est pas beaucoup plus efficace que la logistique et la gestion de l’armée en Ukraine ? Et, en conséquence, qu’il faut s’attendre à des performances – en termes d’organisation de la mobilisation – du même niveau ?

Les minorités ethniques surmobilisées

Ce cas étonnant des étudiants de Bouriatie témoigne en outre d’un phénomène plus large : le Kremlin mobilise davantage auprès des communautés ethniquement non russes, ainsi que parmi les migrants (notamment ceux issus des anciennes Républiques Soviétiques d’Asie centrale, comme l’Ouzbékistan). Selon des témoignages en provenance d’une petite ville de Bouriatie, les autorités sont parvenues à mobiliser environ 700 hommes sur une population totale de 5 500 personnes. Autre exemple, rapporté par le site de l’Institute for the Study of War, une chaîne Telegram arménienne a indiqué que dans une localité près de Krasnodar (Nord-Caucase), la liste des personnes mobilisées comprenait 90% de résidents d’origine arménienne, bien que ceux-ci ne représentent que 8,5% de la population locale.

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À l’intérieur de la Russie, ces mesures prises soudainement ont évidemment surpris. La Douma a voté les lois permettant la mobilisation en quelques heures, à la veille de la déclaration de Poutine, déclaration télévisée probablement enregistrée avant le vote. On ignore si Poutine avait enregistré un autre discours, dans l’hypothèse où la Douma se serait prononcée contre la mobilisation… 

Le pouvoir arrivera surement à maitriser rapidement les réactions les plus négatives et les manifestations. Mais, voici qu’un phénomène plus large et plus insidieux semble déjà se propager. Il s’agit, en quelque sorte, d’un « quiet quitting » en version russe – la fameuse « démission silencieuse ». Sous les radars, partir à l’étranger, obtenir une dispense médicale, utiliser son réseau d’amis ou familial sont autant de moyens actuellement employés pour tenter d’échapper à la mobilisation. Tout ce désordre et ces petits reniements silencieux ou dissimulés font furieusement penser à l’ancien régime soviétique. Finalement, avec le retour en force d’un cynisme, de la corruption et de l’égoïsme de l’homo sovieticus, la guerre pourrait effectivement avoir permis à Poutine de restaurer en partie l’Empire rouge… 




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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