Accueil Culture « Mission impossible, The Final Reckoning » : Ne boudons pas notre plaisir !

« Mission impossible, The Final Reckoning » : Ne boudons pas notre plaisir !

« Et l’humanité sera sauvée de la fin du monde par le porte-parole mondial de la Scientologie… »


« Mission impossible, The Final Reckoning » : Ne boudons pas notre plaisir !
Tom Cruise dans le film Mission Impossible : The Final Reckoning © Paramount Pictures

Nous savions notre chroniqueur grand fan des exploits de Tom Cruise, qui le détendent manifestement après tant d’années passées à pleurer sur l’Ecole. Mais là, en trouvant un aspect métaphysique au dernier opus de la « franchise », comme on dit dans l’industrie cinématographique, n’envoie-t-il pas le bouchon un peu loin ?


Ça virevolte dans tous les sens, y compris au sens propre. Ethan Hunt / Tom Cruise va, court, vole et nous venge du méchant complot fomenté par Gabriel, un Méchant majuscule qui prétend s’inféoder l’Entité, une Intelligence Artificielle majuscule capable de phagocyter tous les sites nucléaires de la planète et de déclencher un tir croisé de missiles qui anéantira la Terre — rien que ça.

Il lui faut donc récupérer, par 150 m de fond, un boitier secret, à bord d’un sous-marin russe coulé quelques temps auparavant, le connecter à un élément externe et y insérer un poison concocté par Luther, lui-même en phase terminale, mais bon, on ne recule devant rien pour sauver les amis et les inconnus : il est quand même question de sacrifier 7 milliards d’individus, rien que ça. L’Apocalypse est au bout de la Quête — ou la Rédemption de l’humanité tout entière.

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C’est très rusé : le film est fort long, mais chaque séquence joue sur des unités de temps brévissimes, quelques minutes, quelques secondes — et « 100 milli-secondes » pour finir. C’est la clé même du suspense : tout se joue dans une temporalité ramassée, où les événements doivent se succéder selon un rythme précis, et l’intervention du héros se calcule en fractions infinitésimales.

On l’aura compris : le scénario, juste assez embrouillé pour qu’on ne prenne pas la peine de s’y intéresser dans le détail, est le véhicule d’une ambition filmique métaphysique dont chaque détail peut évoquer, dans la conscience imbibée de bière et de Bible des Américains, maint passage des Ecritures.

La lutte d’Ethan et de l’Entité, c’est celle du Christ et du Démon. L’assimilation de Tom Cruise au Sauveur est patente : comme le Christ, il meurt et ressuscite, comme lui il grimpe au plus haut des cieux — au sens propre : la séquence aéronautique, outre le fait qu’elle est bluffante (et accessoirement qu’elle est un clip publicitaire géant pour Pataugas), amène le héros à défier les lois de la gravité et à se porter victorieux au plus haut des cieux, alléluia.

Et l’humanité sera sauvée de la fin du monde par le porte-parole mondial de la Scientologie.

On comprend que des sectes para-chrétiennes s’implantent avec facilité aux Etats-Unis. Elles tombent dans un terroir riche en références religieuses, et toute proposition nouvelle n’a qu’à s’appuyer sur les métaphores bibliques qui traversent là-bas la conscience de Monsieur Tout-le-Monde.

Rappelez-vous un excellent western de et avec Clint Eatswood, intitulé Pale Rider. Pour saisir le titre — et l’essentiel du film — il faut se rappeler que ce « cheval pâle » est, dans l’Apocalypse de saint Jean, celui que monte la Mort. Ou ce joli dessin animé, Le Petit Dinosaure, dont l’intrigue entière est empruntée à la sortie des Juifs d’Egypte…

Si ! Allez-y voir si vous doutez, Le T. Rex — Rex comme Pharaon — qui poursuit le petit héros (orphelin comme Moïse), est englouti dans un flot de lave — autrement dit une Mer rouge… — et tout s’achève dans une vallée fleurie, c’est-à-dire une Terre promise.

Même souci ici de rappeler inconsciemment aux spectateurs le texte (ou le sous-texte) de tel sermon ingurgité à l’office du dimanche. Et de le diriger, in fine, vers la secte créée par Ron Hubbard.

De surcroît, que le Malin soit une Entité électronique n’est pas innocent : le discours actuel sur l’IA tend à représenter un outil (fort imparfait au demeurant) comme le recours suprême, autrement dit une forme avancée, voire ultime, de la Divinité. Le vrai croyant (et le vrai incroyant, quelqu’un dans mon genre) ne se laisse pas séduire par ce discours corrupteur… Vade retro, Intelligentia Artificialis !

Pour faire passer son message publicitaire, Cruise, qui est co-producteur du film, a englouti quelques centaines de millions de dollars dans l’entreprise : rappelons que contrairement à tous les autres membres de la Scientologie, il est dispensé de payer son obole à l’organisation, dans la mesure où il est le porte-parole mondial du Culte. Les divers opus successifs de Mission impossible sont autant de véhicules de propagande tendant vers ce final apocalyptique, au même titre que John Wayne jadis, après nous avoir expliqué comment l’Ouest fut conquis, a carrément mis les pieds dans le foutoir indochinois pour sauver la politique de Lyndon Johnson : voir Les Bérets verts, hymne de soutien à la guerre du Vietnam, sorti en 1968. Dix ans plus tard, Le Merdier, avec Burt Lancaster, l’un des plus grands films de guerre jamais réalisés, donnait un tout autre son de cloche. Et je passe sur Apocalypse now, Platoon, Voyage au bout de l’enfer ou Full Metal Jacket, qui tous prêchaient au fond pour l’autre camp.

Il y a une analyse idéologique profonde à faire de tous ces divertissements, qui, au sens propre, nous dispensent de penser à l’actualité, et surtout de penser avec nuance. Tout comme Molière, Racine ou Boileau chantaient la gloire du « plus grand roi du monde », Tom Cruise fait avec talent la propagande de la meilleure usine à ne plus penser que jamais la Foi ait engendrée — l’islam mis à part.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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