Au nom du Miséricordieux


Au nom du Miséricordieux

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Jésus est accroupi face à un aveugle, ses doigts lui effleurent le visage. Il achève de lui nettoyer les yeux, la vue est prête à lui revenir. La première chose qu’il verra, son premier souvenir de voyant, ce sera le visage attentif de Jésus. Entre eux, la lumière est si intense qu’elle estompe les contours du bras du Christ. Lumière et toucher pourraient résumer toute l’exposition « Miséricorde » de François-Xavier de Boissoudy.

L’aveugle de Jéricho est exemplaire de son art : raconter un moment où Dieu touche l’homme autant qu’il se laisse toucher par lui, contact émotionnel autant que physique. Un art en noir et blanc (lavis d’encre noire à peine teintée), où la nature s’efface presque, où le décor se dépouille, où la décoration n’est pas un souci.

De même que dans « Résurrection », sa précédente exposition, François-Xavier de Boissoudy avait représenté tous les moments où le Christ était apparu aux hommes, de même dans « Miséricorde » il recense les moments où Jésus a fait œuvre de miséricorde. C’est un Dieu profondément humain, proche, qui est mis en scène, moins dans le triomphe du miracle et la stupeur des assistants que dans l’instant précis où rien n’existe que cette relation : Jésus pleura nous montre le Christ pleurant Lazare mort ; avant la résurrection, avant même de voir son corps ; dans l’instant où sa miséricorde s’émeut.

Talitha Koum (Jeune fille, réveille-toi !) se situe juste après la résurrection : la fille de Jaïre et Jésus se regardent. Elle vient d’ouvrir les yeux, encore gisante, Jésus est penché sur elle. Ces deux torses et ces deux visages enserrent une lumière qui les baigne autant qu’elle paraît émaner d’eux. L’effet est puissant mais il n’est pas recherché au sens où Boissoudy fuit le spectaculaire, comme le remarque François Bœpsflug (qui signe un catalogue sensible et accessible). Jésus et la jeune fille sont seuls, sans le grand apparat du décor et des figurants ; sans les convenances, comme lorsqu’il est seul avec Marie-Madeleine quand elle lui essuie les pieds avec ses cheveux dans Le repas chez Simon (qui existe en trois versions, de plus en plus resserrées, lent travelling rejetant le superflu pour ne plus montrer que l’essentiel, la lumière se concentrant entre leurs deux visages.

Une lumière qui est parfois l’unique signe que Jésus est là : dans une des nativités, Bethléem, la sainte famille est à peine distincte cependant qu’un tourbillon confus, qui unit bergers, moutons et arbres, se porte vers la crèche qui irradie : masse obscure de la nature venue adorer la surnature incarnée. De même Jérusalem, l’année dernière, représentait la résurrection du Christ par un minuscule trou de lumière au sein d’une colline noire, surmontée d’une ville massive, grise, opaque.

L’exposition mélange habilement les instants de grâce, sans chronologie. Ce qui frappe, c’est cette lecture minutieuse des Évangiles – puissante invitation à les rouvrir –, qui repère avec la justesse du cœur des moments ayant échappé jusque-là aux artistes, et cette manière si particulière d’isoler le Christ dans son effusion miséricordieuse, qui se manifeste par une lumière surgissant de la relation. François-Xavier de Boissoudy nous offre un Christ attentif et réel. Ses tableaux ont visiblement Jésus pour sujet et non pas l’Évangile pour prétexte.

Ce sont d’ailleurs les toiles où le Christ est le plus présent qui sont les plus réussies : celles où la miséricorde est à l’œuvre. Le peintre s’approche de son sujet comme un photographe essayant d’être au plus près de l’événement. Le spectateur est avec, dans la foule, dans un effet caravagesque amplifié où notre regard se focalise sur Jésus et laisse flous les premiers plans : là où la foule veut lapider La femme adultère (c’est-à-dire la punir sans la toucher), le Christ l’abrite de son corps et dessine dans le sable et nous le contemplons, des premiers rangs, en plongée. Qui m’a touché fige le moment où Jésus sent que son manteau a été volontairement effleuré, guérissant par ce seul contact (miséricorde si présente, si offerte, si prête qu’elle se donne presque à son insu : « J’ai senti qu’une force était sortie de moi. » – Luc, 8, 46) cette femme souffrant d’hémorragie et soignée en vain par des médecins qui la considèrent comme impure – et lui ont pris tout son argent. Mais Jésus se laisse toucher, pour lui l’impur n’existe pas : ni la main de la femme malade, ni la chevelure de la prostituée, ni le visage de l’aveugle, ni le corps du lépreux, ni les cadavres… Ni même notre chair, qu’il embrasse. Et nous aussi, nous pouvons le toucher.

Miséricorde, à la galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008, Paris, jusqu’au 28 mai 2016.



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