L’assassinat d’Ilan Halimi en 2006 a laissé place à des années de déni de la montée de l’antisémitisme en France. Depuis, les crimes antisémites se multiplient.
Qu’allons-nous raconter à nos enfants ? Que nous n’avions pas vu venir ? Que nous étions ailleurs ? Pourquoi avoir pratiqué l’évitement depuis trente ans ? Au nom de quelles illusions ? Au nom de quelle tranquillité ? Pourquoi tant de commémorations sur les totalitarismes sanguinaires du XXe siècle, alors que les signes annonciateurs d’un mal similaire sont déjà présents ?
Tandis que l’on commémore les génocides et la mise à mort industrielle, voilà que la mémoire paraît inutile pour penser le présent. Les purges, des liquidations de masse au nom de Dieu, au nom de la race ou au nom de la classe, voilà qu’elles recommencent au nom d’Allah. Voilà des dessinateurs libres penseurs mitraillés pour avoir caricaturé le prophète. Voilà des Juifs assassinés parce qu’ils sont juifs. Voilà un historien poursuivi en justice pour avoir mis à jour la banalité de cette haine présente dans les mentalités arabo-musulmanes. Et voilà des jeunes-des-quartiers-difficiles qui incendient des commerces tenus par des juifs à Sarcelles, à l’été 2014.
Ce serait loin de chez nous ? Non, c’est déjà chez nous.
La banalisation de l’antisémitisme
« Plus jamais ça ! » Tiens donc !? Deux événements simultanés disent le tragique du moment présent. L’assassinat du colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame et l’assassinat de Mireille Knoll donnent la mesure de notre défaite et la mesure des illusions ou mensonges entretenus depuis près de trente ans. Depuis « la marche des beurs pour l’égalité » en 1983, la France a seulement perdu trente années pour imaginer son devenir.
Dès la fin des années 1980, les signes annonciateurs de l’état de barbarie se sont installés en banlieue parisienne. On n’a pas voulu voir la menace préférant les messes musicales conjuratoires de SOS racisme contre l’extrême droite.
Sorti au printemps 2014, le film d’Alexandre Arcady 24 jours, sur le rapt et l’assassinat en 2006 d’Ilan Halimi, avait déjà annoncé la banalisation de ces agressions. Pourtant, ce film annonçait les horreurs actuelles. Cette horreur s’est passée près de chez vous, chez nous…
Ilan Halimi est-il mort pour rien ? Sarah Halimi est elle morte pour rien ? Les trois enfants juifs assassinés à Toulouse six ans plus tard par Mohamed Merah sont-ils morts pour rien ? Les trois militaires français assassinés par Merah sont-ils morts pour rien ? Ces crimes furent commis pour « venger la mort d’enfants palestiniens » et pour venger les musulmans combattus par l’armée française en Afghanistan.
Quand avant et après ces crimes, un humoriste fondait son succès autour d’un spectacle explicitement antijuif et que l’on ergote sur la liberté d’expression pour ce type de propos, on se dit que quelque chose est profondément détraqué dans notre pays.
L’aveuglement du « vivre ensemble »
L’obsessionnalité de ces attitudes, leur répétition, leur rebond infini grâce à l’inspiration islamiste, déroulait une histoire qu’on avait vu venir. Toute la force du film d’Alexandre Arcady était d’en montrer la sinistre banalité. La langue des barbares est celle des éructations dont la mise en musique donne aussi le rap de Médine comme porte-voix. Son clip « Don’t Laïk » en est l’illustration haineuse.
Les codes comportementaux sont ceux de l’ultraviolence. De nouveaux codes vestimentaires, capuche, keffieh, voile, niqab et barbe donnent désormais une autre signature politique ou identitaire. Ce n’est plus la solidarité avec la souffrance palestinienne qui s’exprime mais un autre projet, une autre vision du monde. Si la charia revue par l’Etat islamique prenait le relais comme code de conduite dans les « quartiers difficiles », le pire était à venir. Il est venu. A Nice, sur la promenade des Anglais un soir de 14 juillet.
Ce que le film d’Alexandre Arcady donnait à voir fait partie de notre monde, de ce monde supposé commun où il s’agirait de « vivre-ensemble ». Ce miroir est terrifiant car l’incantation du « vivre-ensemble » dénie au réel sa réalité et refuse simultanément de nommer, de qualifier ceux qui font sécession pour vivre entre eux ou imposer leur loi.
Après Mireille Knoll
Pourquoi le « signe juif » fait-il perdre la raison à tant de bons esprits dotés de raison ? Les Juifs seraient-ils détestés pour le mal qui leur a été fait ? Faut-il aller chercher du côté des fondements, des sources bibliques ayant construit le statut symbolique du « signe juif » dans l’histoire ? La haine d’Israël permet-elle une reformulation acceptable, parce qu’antisioniste de cette haine archaïque ? Comment se débarrasser d’une dette symbolique sinon en éliminant le débiteur ? Comment effacer une culpabilité sinon en accusant sa victime d’un crime identique ?
Ces tragédies actuelles interviennent au moment de la grande célébration narcissique de mai 68. De faux héros septuagénaires s’autoglorifient avec complaisance sans qu’à aucun moment ils ne viennent mettre en cause la responsabilité de la pensée de 68 dans le délabrement intellectuel contemporain.
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L’assassinat de Mireille Knoll, survenu en même temps que l’assassinat du colonel Arnaud Beltrame, par un fanatique islamiste donne au moment présent toute sa dimension symbolique. C’est donc à Paris en mars 2018, dans cette ville, capitale de ce pays dans lequel avait choisi de vivre le père d’Emmanuel Lévinas parce qu’il était capable de se soulever pour prouver l’innocence d’un officier juif injustement condamné, que cette octogénaire, rescapée de la Shoah, a été assassinée.
Que faut-il dire d’autre ? Un kaddish pour la France ?
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