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Mireille Darc, la grande blonde avec un talent fou


Mireille Darc, la grande blonde avec un talent fou
Mireille Darc dans "Le Téléphone rose" d'Edouard Molinaro, 1975. SIPA. 00435480_000002

Ce matin, on l’appelle Mimi. N’y voyez pas une marque de familiarité, plutôt une tendresse infinie pour cette actrice couleur platine. Ce matin, en apprenant sa disparition, on a pris 20 ans dans les artères. On s’est senti vieux, témoin désarticulé du monde d’avant et aussi tellement chanceux d’avoir connu une comédienne de cette trempe-là. Mireille Darc, c’était le soleil du Midi qui brûle les yeux à l’écran, les fêlures de l’enfance qui voilent le sourire de la femme devenue adulte, les élans du cœur incertain et les apparences forcément trompeuses.

Bien sûr, Mireille, c’était aussi une chute de reins diabolique, un brushing seventies vibrionnant, Delon en pygmalion, Audiard en professeur de lettres avisé et Lautner, ce grand frère qui lui fit tourner des films mémorables. Il serait temps que les cinéphiles retrouvent leurs lunettes pour apprécier à sa juste valeur le talent de ce réalisateur.

Mireille jouait les ingénues rigolotes, les vamps désaxées et les espionnes sentimentales comme personne, avec ce naturel des filles sans chichis qui savent serrer les dents face à la douleur et aux injustices de ce métier. Le genre emmerdeuse, tragédienne des plateaux habituée aux psychodrames, n’était pas son style de fabrique. Dans la profession comme dans la vie, Mireille se tenait droite, ne se vautrait pas dans l’impudique ou le grotesque. Elle laissait ces gamineries-là à d’autres consœurs en manque de reconnaissance. Elle ne cherchait pas désespérément la lumière. Ce trait de caractère la reliera toujours à BB. Cette révolte qui gronde dans une enveloppe lisse et désirable, elle faisait avec.

Les gens de la rue avaient de l’estime pour elle

C’est un cadeau du ciel que de posséder un physique aussi attirant mais aussi un poison qui s’infiltre durablement dans le regard des autres. La beauté enferme dans des rôles, dans des cases, dans des impasses aussi. Il suffit de faire l’idiote un jour au cinéma pour être cataloguée dans le registre « farces et attrapes ». Heureusement que les spectateurs sont moins bêtes que les professionnels. En toute circonstance, Mireille détestait les raccourcis de la pensée. Il faut toujours se méfier des fausses blondes, elles cachent très bien leurs sentiments profonds. Sans toujours la comprendre ou la cerner, le public appréciait cette double personnalité, sentait que derrière ces longues jambes fines, une vraie femme existait. Etrange paradoxe où son immense popularité imposait le respect des foules. Les gens de la rue avaient de l’estime pour elle, ils étaient à la fois intimidés et fascinés par son aura. Cette discrète pesait chacun de ses mots et ne salissait jamais la parole de ses témoins dans les nombreux documentaires qu’elle initia dès les années 1990.

Ne retenir de Mireille que le sex-symbol des Trente Glorieuses au bras d’Alain, L’Homme pressé, c’est assurément passer à côté de l’actrice caméléon. Mireille, c’était « Galia » et Christine du Grand Blond avec une chaussure noire en même temps ! L’indépendance et la gaudriole. La force et la dérision. A la fois capable de restituer le comique audiardesque, cette gouaille littéraire si difficile à mettre en bouche et d’interpréter la froideur d’un corps découvert. La formule de Prévert sur Arletty, « l’érotisme chaste », lui convenait à merveille. Même distance imperceptible avec ses interlocuteurs, même regard hésitant entre la séduction et le mystère. Dans un monde pris d’amnésie, Mireille se souvenait toujours de ses partenaires, les tauliers du box-office : Lino, Gabin, de Funès, Blier, Serrault, etc.

Avec son départ, ce matin, la France est triste d’une époque où une grande sauterelle venait chahuter les sens des adolescents, émoustiller les pères de famille et émouvoir les ménagères. Cet œcuménisme-là tient du miracle. Ce matin, les putes ont perdu leur fidèle porte-voix ; le public, une grande dame et les nostalgiques que nous sommes tous, le parfum de l’interdit au sourire d’ange.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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