A l’université Toulouse-Jean-Jaurès (dite du « Mirail »), une minorité de profs et d’étudiants impose sa lutte contre le système patriarcalo-racisto-capitaliste et empêche, depuis plusieurs semaines, tout déroulement normal des cours.
A Toulouse, depuis maintenant plusieurs mois, l’université du Mirail est une fois de plus « en lutte ». C’est le 1er février que la mobilisation estudiantine a pris de l’ampleur : ce jour-là, l’étudiant à qui il aurait pris l’envie de venir en cours n’aurait trouvé que des bâtiments barricadés par des chaises ou des poubelles renversées, des étudiants brandissant malgré le froid leurs audacieuses banderoles (« Non à la fusion », « Sélection non »), et des haut-parleurs diffusant, entre deux versions de Bella Ciao, un appel à participer à l’Assemblée générale (AG) dans le grand amphi à 10h30.
« Des gens y dorment, y mangent, y vivent, des soirées ont été organisées, des ateliers militants ou non s’y sont tenus »
Depuis ce jour, le blocage total de l’université toulousaine de lettres et sciences humaines a été reconduit à plusieurs reprises : d’abord ponctuellement le 6 et le 15 février, puis, actuellement, depuis le 6 mars. Cela fait donc trois semaines qu’aucun cours n’a pu avoir lieu. Mais rassurez-vous : certains étudiants du Mirail ont trouvé de quoi s’occuper. En effet, en parallèle, d’autres entreprises plus ou moins cocasses ont été menées par des groupes d’extrême gauche : par exemple, l’occupation permanente du troisième étage du bâtiment de l’Arche, sur le campus, depuis le 8 février (« des gens y dorment, y mangent, y vivent, des soirées ont été organisées, des ateliers militants ou non s’y sont tenus », nous dit la page Facebook du mouvement : on pourra en effet assister à des ateliers de réalisation de banderoles, voir un documentaire intitulé « Ghetto expérimental », et manger à la « cantine solidaire »). Ou encore, l’organisation de diverses conférences, avec des professeurs parfois plus enclins à se mobiliser que leurs étudiants. Tout cela rythmé par les AG, au moins deux fois par semaine, qui votent à chaque fois le renouvellement du blocage.
Toutes ces joyeuses initiatives font partie du folklore « miraillesque ». Celui-ci réussit chaque année ou presque à se déployer, à l’occasion de toutes les batailles à mener contre l’odieux système patriarcalo-racisto-capitaliste. Cette année, c’est une aubaine pour les groupes militants du Mirail : deux luttes concernent directement les étudiants (alors que parfois, ils doivent se contenter de mobiliser leurs troupes à propos de réformes des retraites…). Il y a d’abord l’opposition aux réformes de l’enseignement supérieur annoncées par le ministre Jean-Michel Blanquer – et déjà partiellement mises en œuvre avec la plateforme Parcoursup – et le combat contre la fusion des universités toulousaines.
« Pour une fac accessible à tou-te-s »
L’agitation actuelle s’inscrit, en effet, dans un contexte national de protestations contre les réformes de l’admission dans l’enseignement supérieur (qui se sont ailleurs bien souvent dégonflées comme des soufflés mal cuits). Le réflexe pavlovien de haine de la sélection à l’université (« pour une fac accessible à tou-te-s ») donne lieu à une rhétorique usée jusqu’à la corde, répétée à l’envi d’un air entendu par les distributeurs de tracts : au moyen de la sélection, contenue implicitement dans ces affreuses réformes, l’Etat, vecteur de l’oppression capitaliste, vole le futur des étudiant-e-s et les empêche d’étudier comme de trouver ultérieurement un emploi. A bas, donc, l’Etat ; à bas Macron ; à bas les fascistes (pour faire bonne mesure) ; et grève générale, pour l’établissement d’une société enfin égalitaire. CQFD.
Le thème local de fusion des universités est cependant le plus important dans les revendications. La « fusion » est un projet qui compte réunir les budgets et les directions administratives du Mirail, de la fac de sciences Paul Sabatier et de deux écoles d’ingénieurs, en vue de l’obtention d’un label « Idex » et donc de subventions supplémentaires (dans une logique bureaucratique bien de notre temps). Outre les syndicats étudiants, agitant entre autres le spectre de la sélection et de la hausse des frais d’inscription (bien que ce point soit totalement réfuté par les responsables du projet), la plupart des personnels administratifs, craignant les suppressions de postes, se sont joints au « grand mouvement social », et ce depuis déjà quelques mois : c’est ainsi que depuis décembre, on ne peut pratiquement plus accéder aux bibliothèques. Aux slogans contre la sélection se sont donc ajoutés ceux de « Lacroix démission », lequel était, jusqu’à mardi dernier, président de l’université, et avait fait pencher la balance pour la fusion au Conseil d’administration. On notait la formule taguée sur un des bâtiments : « Calvaire sur Lacroix ».
Une première tête est tombée…
Mais le mardi 20 mars, à cause du blocage, et de l’impossibilité du déroulement d’une quelconque séance du Conseil d’administration depuis plusieurs mois (du fait de l’opposition des syndicats étudiants), le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a déclaré la fac « ingouvernable », et a annoncé sa mise sous tutelle, écartant de fait le président Daniel Lacroix et le Conseil d’administration ! Le nouveau président par intérim a même annoncé l’abandon du projet de fusion. Victoire des mobilisé-e-s. Cependant, ceux-ci, dénonçant un « coup de force du gouvernement », et une probable « répression policière », ont tout de même choisi de poursuivre le blocage en AG. Pendant ce temps, d’autres (beaucoup d’autres) se demandent ce qu’il va advenir de leur semestre. Retour à la case départ.
…mais la « révolution » continue
Les activistes d’extrême gauche, de toutes les luttes et de toutes les indignations, règnent ainsi sans partage sur la vie politique et intellectuelle de l’université. Et pas seulement, loin s’en faut, pendant les moments d’agitation ; ceux-ci ne sont que les bulles éclatant à la surface de l’eau bouillante. Mais les périodes comme celle-ci permettent aux syndicats, partis et groupes de réflexion de maintenir leur visibilité et de recruter de nouveaux membres, pour entretenir leur influence en temps normal.
C’est en effet au quotidien, tacitement, que la bataille politique se livre. Et au Mirail, la pression idéologique de l’extrême gauche est constante, écrasante et inaltérable. Celui qui entre est immédiatement prévenu : « Ici c’est le Mirail », lit-on sur les murs tagués. Dans un campus isolé, à l’extérieur du centre-ville (c’est un monde clos), l’étudiant se trouve constamment assailli par une multitude de sollicitations, de demandes de positionnement idéologique. On perçoit tout de suite les plus directes : les membres du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) distribuant occasionnellement des tracts devant les bâtiments. Ou encore les affiches pour telle journée de réflexion sur les enseignements politiques de Marx. Des indices plus « subtils » révèlent aussi leur influence : l’utilisation omniprésente de l’écriture inclusive sur les prospectus, dans les mails de certains professeurs,et même sur certaines pages du site de l’université ; ou la proposition de masters intitulés « Genre, égalité et politiques sociales » ou « Nouvelle économie sociale », concept récurrent des altermondialistes.
« Vive le vent, vive le vent, vive le vandalisme »
Après quelques mois, on se résigne à ne jamais échapper à la pression idéologique. L’espace même du campus est violemment prosélyte : graffitis partout sur les murs extérieurs, dont quelques-uns assez originaux, comme ceux-ci : « Vive le vent, vive le vent, vive le vandalisme » (sans doute celui qui l’a écrit s’est-il émerveillé de son bon goût) ; « ZAD partout » ; « Grève ou crève » ; « Aimeute ». Apostrophes jusque dans les toilettes, elles aussi recouvertes de slogans : dans les toilettes des femmes, celles que l’auteur de cet article fréquente, ils sont axés majoritairement sur les questions de genre : « à bas le patriarcat », « la révolution sera féministe ou ne sera pas », ou, ces derniers mois avec la vague #metoo, « Men are responsible for more than 85% of all crimes. Name the problem : it’s male violence » (on ne saisit cependant pas pourquoi l’étudiante l’a écrit en anglais, serait-ce une étrange intériorisation de l’impérialisme américain ?).
Au Mirail, se perpétue donc un climat permanent de contestation de l’ordre social. Il influence fortement les étudiants, qui, bien sûr, se conforment inconsciemment à l’atmosphère dans laquelle ils baignent : on le voit de façon anecdotique à l’adoption d’un style vestimentaire (et capillaire) « brisant les tabous », mais surtout à la propension à assimiler et restituer les sommations agressives qu’ils reçoivent en permanence. Après quelques mois au Mirail, la majorité des étudiants tient par exemple les idées de la France insoumise pour référence politique « normale », si l’on excepte ceux qui déclarent avec dégoût que ce parti est un « allié objectif du système capitaliste ».
Marx est partout
Plus fondamentalement, sur certains sujets, la contradiction est non seulement interdite, mais aussi impensable. C’est par exemple un fait avéré au Mirail que le conflit israélo-palestinien est uniquement le résultat d’un « apartheid » exercé aux dépens des Palestiniens. Autre évidence « miraillesque » : les femmes sont opprimées depuis la nuit des temps, partout et encore aujourd’hui, puisque la domination masculine est « systémique » ; et seule la constitution des femmes en « team clito » (formule accompagnée sur les murs de dessins peu ragoûtants), pourra renverser cette domination. Troisième tableau de ce classique triptyque de la mobilisation : la dénonciation de la « violence structurelle » de l’Etat capitaliste, et de ses agents, les forces de l’ordre.
Il n’y a (paradoxalement) qu’à prononcer les mots de Gramsci pour qualifier le problème : le Mirail est en situation de totale hégémonie culturelle. Depuis des dizaines d’années, l’université vit dans le fantasme de rejouer mai 68, et très régulièrement, les étudiants ont droit à une répétition générale en vue d’un nouveau soulèvement à grande échelle. En perpétuelle ébullition (comme on lit encore une fois dans les toilettes, « le Mirail bout ou meurt »), l’atmosphère intellectuelle de l’université n’est que peu propice – et c’est un euphémisme – au calme et à la réflexion dont on pourrait naïvement penser qu’ils sont nécessaires aux études supérieures. L’activité scientifique elle-même subit de plein fouet cette absence de neutralité, et une partie – certes pas la majorité, heureusement – des enseignants-chercheurs prend implicitement ou explicitement position en cours. C’est ainsi que le Mirail s’autoalimente idéologiquement en permanence, et qu’il parvient, au fil des années, à conserver son esprit inébranlable de révolte.
L’université est un des derniers bastions de l’extrême gauche révolutionnaire. Et s’il n’en restait qu’un, ce serait sans doute celui-là.
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