Sur le site de France TV, le documentaire inédit de Nicolas Bole retrace l’aventure du minitel. Alors, réussite commerciale, échec industriel, prémices d’Internet ou noyautage à la française ?
C’était l’ami de la famille des années 1980, aussi pratique qu’un break Citroën CX et rapide qu’une Micheline entrant en gare de Tracy-sur-Loire. Il était poussif et merveilleux à la fois, coûteux et sonore à l’usage, rustique dans sa robe maronnasse et étrangement futuriste avec son clavier intégré à l’écran, sujet de moquerie mais aussi de fierté patriotique, il donnait aux intérieurs des pavillons de banlieue, une touche de transgression tranquille et de planification étatique, le tout posé sur un napperon au crochet, entre la photo de classe du petit dernier et un vase faussement antique ramené d’un séjour en Grèce. Nous tournions autour de cet objet mastoc aux vertus érotiques, avec un peu de gène et de contentement, ne sachant si c’était un cadeau venu du ciel Élyséen ou une source de dépenses nouvelles. Personne ne pouvait décemment refuser l’entrée de la modernité dans son living-room à l’heure de la guerre des étoiles, la vraie, pas celle de George Lucas au cinéma. Par mimétisme, tout le monde l’avait adopté à la maison, et, avec une forme d’excitation, nous avons laissé le minitel s’insérer dans nos vies quotidiennes. A part quelques adresses inconnues et des résultats d’examen, son utilisation n’ira pas beaucoup plus loin chez une majorité de ménages. Il fut cependant plus répandu que le lecteur VHS sous le téléviseur et les boîtes de « Bolino » dans le placard de la cuisine. Après « Cocoricocoboy » et « Gym Tonic », le 3615 allait modifier charnellement les rapports humains de quelques-uns et nous préparer collectivement à la grande bascule technologique des années 2000. Nous aurions pourtant dû nous méfier d’un cadeau offert par une administration. A cette époque du programme commun et du col Mao à l’Assemblée, l’ordinateur domestique (Personal Computer) n’était qu’un doux rêve californien, les enfants buvaient du Tang Orange au goûter et les soirées diapositives étaient le théâtre de scènes de ménage qui virèrent parfois au carnage. Les voisins s’en souviennent encore. Des couples ne se sont jamais reparlés après une remarque anodine sur le maillot de bain d’une touriste allemande aperçu sur une plage de la Costa Brava. En ce temps-là, les élites industrielles du pays avaient vocation à anticiper l’avenir, à inventer de nouveaux moyens de communication et à nous guider dans la course économique mondiale. Le moule semble avoir été cassé au cours de cette même décennie, par manque d’ambition et de multiples reniements comme si le dénigrement était devenu un sport national. Sans le savoir, nous étions à la croisée de l’informatique triomphante et de la téléphonie murale, des géants de papier et de la dématérialisation des services, de la fin du bottin et d’une existence entièrement googlisée. Au milieu du gué, en somme. Un parfum de Silicon Valley s’élevait au-dessus des champs de Seine-et-Marne. Aux petits matheux, on leur promettait que s’ils travaillaient bien à l’école, ils deviendraient ingénieurs à France Telecom, qu’ils rouleraient en BX 16TRS et qu’ils pourraient s’acheter un studio de vacances au Pouliguen bien appréciable à l’âge de prendre sa retraite. Une position sociale aussi enviable que pilote de Formule 1 ou spationaute. Il faut se souvenir que le drapeau tricolore brillait, chaque week-end, sur les circuits européens avec Lafitte, Tambay, Pironi, Jabouille, Arnoux et Prost. Dans l’espace, Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry nous ouvraient la canopée. Les filles ont toujours eu un faible pour les aviateurs. « Je n’ai pas d’amour pour les hommes lourds ; aux piétons, je dis non » comme le chantera plus tard Véronique Jannot. Le documentaire de Nicolas Bole retrace cette folle épopée d’une boîte en plastique qui, du jour au lendemain, disparut de notre espace mental et visuel. Sans crier gare. Dans l’anonymat le plus complet comme les stars du muet tirèrent leur révérence. Ce documentaire nous informe sur les enjeux industriels et les luttes de pouvoir, le réalisateur a même été jusqu’à retrouver les pionniers de ces échanges virtuels en Alsace, il a également interviewé Claude Perdriel, des artistes, des archivistes et des sociologues et il a mis la main, dans d’improbables réserves poussiéreuses, sur des projets au design fascinant. Nous n’avions pas de pétrole mais assurément des idées. Ce qui séduit dans cette démarche quasi-poétique, c’est la nostalgie pour les choses perdues.
À voir sur France TV.