Pendant que le gouvernement glose à n’en plus finir sur les déplacements d’une équipe de football, un nouveau scandale pénitentiaire passe inaperçu. Mais de quoi s’occupent nos ministres?
De quoi s’occupent les ministres ? Cette interrogation est légitime.
La ministre des Sports – apparemment, elle n’a rien de plus urgent à faire ! – semonce Christophe Galtier pour son ironie sur le « char à voile » en réponse à la polémique sur le jet privé ayant ramené le PSG de Nantes à Paris, blague qui a suscité le fou rire de Kylian Mbappé. Le comble du ridicule n’est pas encore atteint car je ne doute pas qu’on aura d’autres occasions pour se moquer d’une certaine manière d’appréhender l’écologie, nouvel Évangile, totalitarisme d’aujourd’hui. D’autres ministres, moutons de Panurge, ont pris le relais, feignant d’avoir été choqués, l’esprit de sérieux en bandoulière, et la Première ministre a cru bon, comme à l’école, d’inciter les footballeurs à prendre conscience de la cause de la planète. Interdit de rire alors qu’on en a encore le droit. Pour combien de temps ? J’admets bien volontiers qu’on ne pouvait pas demander à cette ministre des Sports, tellement obéissante et conformiste, de se pencher sur les convois présidentiels et l’usage du jet ski à Brégançon. Jean-Luc Mélenchon a eu droit, lui, à sa critique pour la location d’un 4×4 à Lille.
Je ne m’interdis pas de juger ces controverses dérisoires par rapport à la multitude des vrais et souvent angoissants problèmes que la France subit et encore davantage demain. On me répondra que le réchauffement climatique et l’émission de CO2 relèvent de cette catégorie. Même si nous en étions sûrs, il ne me semble pas que l’urgence soit requise sur le même mode.
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Certes les ministres, même en leur prêtant une lucidité remarquable pour savoir hiérarchiser ce qui doit être accompli vite, ce qui peut attendre et ce qui ne mérite même pas d’être évoqué, n’ont évidemment pas le temps ni l’envie de prendre en charge tout ce qui affecte, émeut ou indigne la France.
Pourtant la multitude des tweets dont Gérald Darmanin nous inonde à chaque fois que l’insécurité se manifeste, que les attaques de policiers se multiplient et qu’à l’évidence sa politique de fermeté relative est mise en échec, démontre que ce ministre n’est pas indifférent aux malheurs, aux tragédies et à l’ensauvagement de notre pays. C’est déjà beaucoup que de ne pas faire comme s’ils n’existaient pas.
Le fiasco de l’exécution des peines judiciaires
Il ne faut surtout pas justifier l’abstention politique au prétexte d’une indépendance qui devrait être laissée à tous les responsables de terrain ou de justice. L’indépendance comme un bouclier et non pas une exigence dont il convient de contrôler le bon exercice ! Faisant référence à la Justice, ces derniers jours la France a été stupéfiée par la démonstration renouvelée que l’exécution des peines, et notamment des sanctions criminelles, est un terrifiant fiasco, et parfois un scandale absolu.
Un jeune homme – il est âgé de 17 ans – assassine, en 2012, un adolescent de 14 ans pour voir l’effet qu’engendre le fait de tuer quelqu’un. Il est condamné en 2014 par une cour d’assises des mineurs à 22 ans de réclusion criminelle et il a droit à sa première permission de sortie en août de cette année, soit 11 ans après le début de son incarcération. Il ne réintègre pas la prison à la date prévue et durant sa période de liberté, il agresse gravement un chauffeur de taxi en lui portant un coup de cutter et des coups de poing. Il a été interpellé peu de temps après.
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Je néglige la réaction de l’un de ses avocats qui, selon la langue de bois du barreau traditionnel, estime que « pour éteindre toute polémique, la décision du juge d’application des peines de donner une permission de sortie semble très légitime à mi-peine. Cela va dans le sens de la réinsertion ». On cauchemarde ! Je comprends que la famille du jeune garçon assassiné en 2012 se dise « écœurée ». Quel type de réinsertion peut-on espérer, sinon une réinscription dans le crime, avec ces modalités tenant à la fois à l’acte et à la personnalité, qui vont entraîner de manière quasiment inéluctable une nouvelle horreur ? À mon avis, s’il avait accepté de questionner, pour le futur, des pratiques judiciaires funestes à partir de cet exemple déplorable, le garde des Sceaux aurait été dans son rôle, dans sa définition la plus noble. On ne l’a pas entendu.
Le poncif de la souffrance du prisonnier
Il aurait fallu le Nicolas Sarkozy de la grande époque – ministre de l’Intérieur ou président (dans sa vision pénale) – pour que soit proposée, sans provocation, la mesure suivante : interdire, pour les crimes de sang, toute sortie anticipée, même temporaire : on a constaté les conséquences de la volonté « humaniste » de favoriser la réinsertion ; sans se soucier de l’essentiel : du condamné et du crime commis. La libération, ce sera à la fin de la peine. Cette rigueur nécessaire serait tout à fait compatible avec une réflexion sur la prison, son rôle, sa dignité matérielle et humaine à restaurer pour tous. On ne jouera pas aux dés la sauvegarde de la société en attendant des établissements parfaits pour se donner le droit de la défendre.
Enfin, qu’on ne m’oppose pas ce poncif qui, prenant en compte, paraît-il, la souffrance du prisonnier, imposerait de la faiblesse dans les modalités d’exécution de la sanction quand la douleur de la famille de la victime, elle, n’aura jamais de répit ! Dans l’agenda des ministres, si leur priorité était de traiter ce qui fait mal au peuple, ce qui l’empêche de bien vivre, leurs préoccupations seraient bousculées, bouleversées et on aurait le sentiment de politiques à notre écoute, à notre chevet, seulement obsédés par notre bonheur.
Ce serait de la naïveté ? Il n’y a pas de dirigeants ou d’opposants honorables sans cet altruisme démocratique. Maintenant ou demain.