Une réédition du chef-d’œuvre monumental de Milos Tsernianki, Ulysse serbe et romancier de toutes les errances.
D’après Vladimir Dimitrijević, qui en publia la première traduction à L’Age d’Homme, Le Roman de Londres, roman-fleuve du grand écrivain serbe Miloš Tsernianski (1893-1977), fut « le dernier livre en noir et blanc ».
Que voulait dire cet éditeur de légende, si ce n’est que ce roman témoigne d’un univers englouti – celui des personnes déplacées et de la Guerre froide ? Dimitri, comme tout le monde l’appelait, avait connu la dure loi de l’exil quand sont inaccessibles et les proches, parfois emprisonnés ou pire, et la maison natale, souvent détruite ou confisquée.
Dimitri m’avait offert ce roman lors d’une de ces visites dans sa librairie de la rue Férou qui duraient des heures et vous laissaient enchanté et moins ignare. D’où ma joie à le savoir réédité dans La Bibliothèque de Dimitri, aux éditions Noir sur blanc.
Le roman d’un banni
L’auteur fut une sorte d’Ulysse serbe, né dans l’empire austro-hongrois, éduqué à Timisoara, Fiume et Vienne avant de connaître les fronts galicien et italien. Poète moderniste, Tsernianski fut diplomate au service du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes à Berlin, Lisbonne avant de connaître en 1941, et ce près de vingt-cinq ans durant, l’exil et la pauvreté à Londres, expérience qui nourrit son œuvre.
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Le Roman de Londres est le roman d’un banni, le prince Repnine, aristocrate de la Vieille Russie, fils d’un diplomate anglophile et officier d’état-major dans l’Armée blanche. De justesse, il parvient à échapper aux bolcheviks en embarquant pour Constantinople avec les troupes du général Wrangel, dans la Crimée de 1920. C’est à cette occasion qu’il rencontre Nadia, sa future femme, qu’il épouse à Athènes. Ce couple sans descendance vit le drame du déclassement et du désespoir pendant un quart de siècle, d’Alger à Paris, et pour finir dans le Londres du Blitz, où les Repnine arrivent avec des papiers polonais. Petits métiers, déménagements fréquents, aides parfois intéressées, lutte permanente pour surnager dans un monde appauvri par la guerre, tel est leur quotidien.
Ampleur peu commune
Le récit se passe pendant l’hiver 46-47, quand Nicolas Repnine prépare le départ de sa femme Nadia pour New-York, où l’attend sa tante. Lui, restera à Londres, car scellé est son destin et achevée sa mission : empêcher que sa femme ne termine dans la misère.
Ce livre poignant, d’une fabuleuse richesse sur le plan psychologique, constitue une sorte de parabole de l’homme contemporain, perdu dans une ville tentaculaire où il n’est rien. Surtout, l’exil, avec ses humiliations et ses espoirs déçus, les intrigues parfois fatales propres aux cercles d’émigrés, le dénuement et l’amertume, la lente plongée vers le néant, la volonté de ne pas déchoir, l’orgueil, l’obsédante présence des fantômes (une jeune fille jadis courtisée sur la Perspective Nevski, un ami suicidé à Prague ou à Bruxelles,…) donnent à ce roman une ampleur peu commune. De son malheur en terre étrangère, Miloš Tsernianski a tiré un chef-d’œuvre qui prend à la gorge.
Miloš Tsernianski, Le Roman de Londres, Noir sur blanc. Postface de Vladimir Dimitrijević.