Ce n’est pas pour jouer les institutrices revêches ni distribuer des coups de règles en bois sur les doigts repliés de toute une profession, mais beaucoup de titres de la presse française ont, ces dernières semaines, accordé au terme « flottille » une graphie singulière, en privant le mot de l’un de ses deux « t ». Ce fut une véritable épidémie, comme si le métier de journaliste consistait à répéter, avec une ponctualité et une précision exceptionnelles, les erreurs et les fautes de ses voisins. Cinq cents ans après Gutenberg, le journaliste new look remet au-devant de la scène un petit boulot qui avait failli succomber à l’invention de l’imprimerie : moine copiste. Laissons Boileau et son Art oratoire en paix, mais comment la presse pourrait-elle bien concevoir la moindre chose de ce qui s’est passé au large de Gaza quand elle ne maîtrise même pas les mots pour le dire et se complaît dans un panurgisme dysorthographique ?
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Une « flottille » n’est pas une flottille
Ce mot, d’ailleurs, de « flottille », la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie en restreint exclusivement le sens aux escadres envoyées « dans certains ports de ses Domaines d’Amérique » par le roi d’Espagne. C’est un emprunt à l’espagnol flotilla, attesté chez Mme d’Aulnoy, laquelle n’avait rien de plus intelligent à faire en 1691 que d’écrire un Mémoire sur la Cour d’Espagne. Flotilla désigne alors des navires de guerre et, au-delà des Pyrénées, la vérité est qu’il ne prend qu’un seul « t ». La flottille amputée d’une lettre n’était donc pas un lapsus calami, mais comme un retour espagnol du refoulé.[/access]
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