Accueil Édition Abonné Décembre 2024 L’Argentine à la tronçonneuse

L’Argentine à la tronçonneuse

Milei, ou comment se débarrasser des "passagers clandestins" en économie...


L’Argentine à la tronçonneuse
Le président argentin Javier Milei sonne la cloche d'ouverture de la Bourse de New York (NYSE), 23 septembre 2024. Un geste fort pour marquer l'ouverture de l'Argentine aux marchés mondiaux © AP Photo/Seth Wenig/SIPA

Javier Milei a été élu à la tête de l’Argentine il y a un an. Ces douze derniers mois, l’ancien professeur d’économie a appliqué méthodiquement son programme ultra-libéral. Résultat : l’inflation s’est effondrée, les loyers ont baissé, la monnaie s’est renforcée et le budget est aujourd’hui excédentaire.


Gil Mihaely m’a demandé de faire le point sur un personnage singulier : le nouveau président argentin, Javier Milei, qui a fait campagne en exhibant une tronçonneuse partout où il allait. Par ce geste, il voulait symboliser son intention de nettoyer l’État argentin et de couper toutes les dépenses inutiles.

De quoi souffre ce pays béni des dieux ? Du fait que nos démocraties ont attrapé la vérole.

Nos démocraties représentatives sont en effet devenues des inaptocraties, où ceux qui sont incapables de gouverner sont élus par ceux qui ne veulent pas travailler, afin que les premiers organisent légalement la spoliation de ceux qui acceptent de travailler, au profit des passagers clandestins, les entretenant ainsi dans une oisiveté confortable.

Comme le disait Bastiat : « Quand le pillage devient un mode de vie pour un groupe d’hommes vivant ensemble en société, il se crée alors un système légal qui l’autorise et un code moral qui le glorifie. »

Un pays au fond du gouffre

L’Argentine, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a pratiqué avec constance ce type de gouvernement, passant ainsi de 1945 à 2023 du deuxième rang mondial en termes de niveau de vie à celui des pays les plus pauvres. C’est le pays non communiste qui a vu son niveau de vie régresser le plus au monde en soixante-dix ans, une période durant laquelle nous avons connu une forte croissance mondiale. Rien de quoi être fier.

En 2023, l’Argentine était véritablement au fond du gouffre : l’inflation atteignait 25 % par mois, la monnaie s’effondrait face au dollar (passant en quelques mois de 200 à 1 000 pesos pour un dollar), le pays était en faillite après avoir fait défaut sur des prêts du FMI, octroyés sur ordre de Mme Lagarde, alors présidente du Fonds. Pour compléter ce tableau lugubre, les réserves de change avaient fondu, la balance commerciale enregistrait mois après mois des déficits croissants, et enfin, les déficits budgétaires faisaient pâlir d’envie les inspecteurs des finances français. En résumé, les subventions que les inaptocrates versaient aux paresseux ne couvraient même plus le prix du ticket de métro pour aller les toucher.

C’est dans ce contexte que se sont déroulées les élections, et que le peuple argentin a finalement compris qu’il était temps de changer. C’est à ce moment que Javier Milei et sa tronçonneuse sont apparus. À la surprise générale, il a été élu avec 55 % des voix. Voici ce qu’il a fait une fois en fonction : il a commencé par annoncer des coupes budgétaires de 20 milliards de dollars (soit 5 % du PIB, l’équivalent de 75 milliards d’euros chez nous), avec des réductions de subventions pour les transports publics, l’électricité, le gaz et l’eau. Ensuite, il a procédé à une série de dérégulations par décret présidentiel, avec 300 mesures et 664 articles visant à déréguler le commerce, les services et l’industrie.

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Une opération de sauvetage : la loi « omnibus »

Le 27 décembre, cinq semaines après sa victoire électorale, Javier Milei a présenté le projet de loi « omnibus » visant à privatiser des entreprises publiques, dont la grande société pétrolière YPF. Cela a conduit à d’importantes manifestations fin janvier, organisées par les syndicats. Le gouvernement a répondu en menaçant de suspendre les allocations des manifestants et en indiquant qu’il ferait payer aux syndicats les frais de maintien de l’ordre. Cependant, il convient de noter que peu de violences policières ont été observées. Cela montre que l’idée selon laquelle un gouvernement libéral serait forcément très répressif est, dans ce cas précis, erronée.

Sans surprise, Le Monde, Le Monde diplomatique, Télérama, toutes nos chaînes de télévision et les intellectuels français admis à s’exprimer dans les médias ont hurlé que les Argentins allaient tous mourir de faim… Pourquoi sans surprise ? Parce que j’ai déjà vu ce film je ne sais combien de fois… Je l’ai vu avec Margaret Thatcher et la lettre signée en 1981 par 300 économistes britanniques expliquant que sa politique allait mener à la fin de la Grande-Bretagne, au moment même où les marchés financiers atteignaient leur plus bas. Je l’ai vu au Canada, quand le Premier ministre a décidé de réduire tous les budgets ministériels de 20 % d’un seul coup. Les économistes locaux étaient unanimes à prédire une dépression, l’effondrement de la monnaie et du niveau de vie. Non seulement le Canada n’a pas connu de récession immédiatement après, mais il n’y en a pas eu pendant plus de dix ans, et en fin de mandat, Jean Chrétien a baissé les impôts de plus de 100 milliards de dollars (canadiens…).

Enfin, je l’ai vu aux États-Unis, quand Reagan, fraîchement élu, a supprimé les contrôles des prix sur le pétrole, instaurés par Carter. Le prix à la pompe s’est effondré…

… Et tout se passe comme prévu

En réalité, comme le dit le professeur Raoult, les sociétés humaines peuvent être fondées sur la compétence ou sur l’obéissance. Et les organisations fondées sur l’obéissance cherchent toujours à détruire celles fondées sur la compétence. Comme Raymond Boudon l’a dit en réponse à la question « Pourquoi les intellectuels français n’aiment-ils pas le libéralisme ? » : « Parce que, dans un régime libéral, ils seraient payés à leur vraie valeur. »

En Argentine, tout se passe donc comme prévu, c’est-à-dire à l’inverse de ce que prédisaient les intellectuels et économistes universitaires. Après un peu plus d’un an au pouvoir, l’inflation mensuelle est tombée de 25 % à 4 %, le budget est excédentaire, ainsi que les comptes courants. Les loyers ont baissé grâce à l’augmentation de l’offre locative (conséquence de la fin des réglementations visant à protéger les locataires), la monnaie s’est renforcée (de 1 000 à 850 pesos pour un dollar), la bourse est au plus haut, et la popularité de Milei est telle qu’il peut espérer que son parti devienne majoritaire à l’été 2025. Seule ombre au tableau : la pauvreté aurait augmenté, mais tout porte à croire que cela ne durera pas. Pour expliquer cette prévision, je citerai Milton Friedman, autre maître à penser de Milei : « Si vous payez les gens à ne rien faire et si vous taxez ceux qui travaillent, il ne faut pas s’étonner que le chômage augmente. » Le chômage va donc baisser en Argentine, et avec lui, la pauvreté, puisque Javier Milei a décidé de ne plus payer les gens à ne rien faire.

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Décembre 2024 - Causeur #129

Article extrait du Magazine Causeur




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Charles Gave est économiste et financier. Il est président de l'Institut des libertés et actionnaire de Causeur.

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