L’écrivain Milan Kundera est mort à l’âge de 94 ans. Il avait connu un succès mondial à partir des années 80, notamment avec L’Insoutenable légèreté de l’être (Gallimard)
L’écrivain français, d’origine tchèque, Milan Kundera, mort à Paris mardi 11 juillet, était l’un des esprits les plus européens qu’on puisse trouver. Sa vie relativement mouvementée, ainsi que son œuvre romanesque et ses essais, en témoignent. Né le 1er avril 1929 à Brno, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, il est le fils d’un musicologue. Il monte à Prague faire ses études supérieures, qui le mènent d’abord à la faculté des lettres, puis à l’École supérieure de cinéma, la FAMU. Devenu professeur, il est exclu une première fois du Parti communiste en 1950, avant de s’y voir réintégré. C’est l’époque où il publie ses premiers livres de poésie, qu’il reniera par la suite. Lors du Printemps de Prague, en 1968, il participe à l’élan général de liberté. Il a publié La Plaisanterie en 1967, et donne en 1968 Risibles amours, deux livres qui coïncident magistralement avec leur époque. En 1970, il est écarté définitivement du PC et perd son poste d’enseignant. C’est la période où il rédige des romans comme La Vie est ailleurs (paru en 1973 en France) ou encore La Valse aux adieux (en 1976).
L’installation en France
Milan Kundera est venu s’établir en France au milieu des années 1970, d’abord à Rennes, ensuite à Paris, trois ans plus tard. Une nouvelle ère s’ouvre à lui, au cours de laquelle il publiera ses œuvres les plus célèbres, devenant l’un des romanciers les plus lus au monde, en particulier avec L’Insoutenable légèreté de l’être, en 1984, bientôt porté à l’écran dans une adaptation qui le décevra. Kundera avait accepté de passer à l’émission de télévision Apostrophes, pour parler de ce roman. C’est à cette occasion que beaucoup de lecteurs le découvrirent et le virent se livrer avec sincérité et courage au jeu des questions et des réponses. Il en imposait, à vrai dire, lui, le survivant de la dictature soviétique, repartant presque de zéro, et réussissant par sa seule volonté à se rétablir et à s’offrir une seconde vie. J’ai revu il y a quelque temps ce grand moment de télévision, et Kundera m’est encore apparu comme un bûcheron prêt à tailler à la hache une forêt de haute futaie.
L’Europe de la culture
Il faut noter que Kundera se mit à utiliser le français comme langue originale de ses livres à partir de 1993. Ce fut donc le cas pour L’Identité (1998), qui reprend des thèmes majeurs chez lui, ainsi que La Fête de l’insignifiance (2014). Le travail littéraire de Kundera a, par une sorte de retour aux sources, libéré véritablement le roman moderne d’un carcan formel assez contraignant, de type avant-gardiste. Ses influences sont d’ailleurs significatives, principalement européennes ou centre-européennes : pêle-mêle on peut citer Kafka, Gombrowicz, mais aussi Rabelais, Diderot et Goethe, et quelques autres. Son article, « Un Occident kidnappé », publié dans la revue Le Débat en 1983, mettait bien en évidence ce penchant pour l’Europe, une Europe de la culture qui, à ses yeux, n’existait plus guère, et dont il avait la nostalgie la plus poignante, mais sans pathos.
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Le royaume des morts
Kundera avait la réputation d’être un écrivain secret, n’accordant que très rarement des interviews. Mais en réalité il se révélait sans frein dans ses romans et ses essais, pour peu qu’on y fût attentif. Ainsi dans Une rencontre (2009), il consacrait tout un très beau et surprenant chapitre à Malaparte et à son récit La Peau. En évoquant l’art romanesque de Malaparte, c’est au sien que Kundera pensait, en particulier lorsqu’il écrivait ceci en conclusion, à propos des « morts de tous les temps » : « ils se moquent de nous, ils se moquent de cette petite île de temps où nous vivons, de ce minuscule temps de la nouvelle Europe dont ils nous font comprendre toute l’insignifiance, toute la fugacité… » On retrouve bien ici l’ironie subtile de Kundera, la même qui irrigue ses fictions, et également cette philosophie désabusée, mais enjouée, qui nous pousse, nous, ses lecteurs, dans un même geste, à tenter encore notre chance. Désormais, Kundera n’est plus, il a rejoint, lui aussi, le royaume des morts – mais son œuvre demeure comme une part immortelle de nous-mêmes et des choses d’ici-bas.
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