Alfred Jarry visait juste en situant l’action de son Ubu roi en Pologne. Plus d’un siècle après la création de la pièce, la Pologne demeure – pleinement et manifestement – un pays ubuesque. Le plus cocasse, c’est que les Polonais croient appartenir à la modernité, autant dire à l’Occident, pour le meilleur comme pour le pire. La crise de l’immigration qui les concerne, pensent-ils, au même titre que le reste des pays européens en serait selon eux la preuve irréfutable. Des rêveurs, je vous dis.
Si on me demandait, en tant que Polonaise, un avis concernant l’accueil des migrants dans mon pays d’origine, je dirais qu’il serait extrêmement flatteur pour nous, les Polonais, d’en recevoir quelques milliers. Pour une fois que c’est l’Europe qui a besoin de nous et non pas l’inverse, comment ne pas nous montrer solidaires ? Et tant pis si les réfugies syriens ou érythréens courent peut-être moins de risques en restant chez eux qu’en s’installant en Pologne. Hélas, seule une fraction ultra-minoritaire des Polonais partage cette opinion. Regroupés au sein de la fondation « Przebudzenie » (« éveil » en polonais), ils ont réussi néanmoins à se faire entendre lors des manifestations qui, à la mi-septembre, ont mobilisé le pays tout entier en faveur ou contre les migrants, bien avant qu’un seul n’arrive sur notre sol. « La Pologne est en mesure d’accueillir bien plus que 2 000 personnes, ont-ils clamé. Mais pas sous le diktat de l’UE ni en raison de quelconques quotas ! Nous n’avons pas le droit d’imposer à quiconque de vivre en Pologne ! » Et à plus forte raison à des personnes déjà traumatisées, ai-je envie d’ajouter.
Le débat, ou plutôt la bagarre, parlementaire à ce sujet a donc été homérique. Depuis la tribune de la Diète, Jaroslaw Kaczynski, chef du principal parti d’opposition, le très conservateur « Droit et Justice », contestait la légitimité d’un gouvernement qui, selon lui, avait pris une décision sous la pression des institutions européennes et à l’encontre des intérêts nationaux. « Il y a un sérieux risque que les migrants ne respectent pas nos lois et n’adhèrent pas à nos valeurs, a-t-il prévenu.[access capability= »lire_inedits »] On peut vite en arriver à voir exister chez nous, comme en Suède, des zones sous domination exclusive de la charia. » S’il faut regretter l’incident diplomatique qu’a provoqué ce discours du leader de « Droit et Justice », il convient peut-être de se réjouir à l’idée que les migrants puissent refuser de s’intégrer à notre culture. Enfin, « culture » n’est peut-être pas le mot approprié.
En effet, pendant les manifs à Gdansk et à Cracovie, capitale culturelle de la Pologne soit dit en passant, on entendait des Polonais, les vrais, scander le slogan : « On vous fera la même chose que Hitler a faite aux Juifs ! » en guise de bienvenue adressée aux futurs réfugiés. Ailleurs, on appelait au secours : « Breivik, sauve-nous ! » Personnellement, je me sens toute rassurée de savoir les hypothétiques nouveaux arrivants incapables de comprendre notre légendaire sens de l’hospitalité ni de le partager.
Certes, de l’autre côté de la rue, on hurlait : « Je veux avoir une voisine arabe ! », tandis qu’une poignée de braves gens agitaient les clés de leur maison, prêts à les offrir aux nécessiteux barbares des Proche et Moyen-Orient. La secrétaire d’État chargée des droits des femmes, la professeur Malgorzata Fuszara, rappelait courageusement un fait historique, celui que 120 000 Polonais ont trouvé refuge en Iran à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sans oublier de mentionner la réduction de moitié de la dette polonaise après la chute du communisme et les millions de dollars d’aide injectés en Pologne par le Fonds monétaire international et l’Open Society Institute de George Soros. « C’est en Pologne que le pourcentage de migrants reste le plus bas d’Europe, à peine 0,3 %, alors qu’aujourd’hui nous faisons partie de ces pays bien lotis vers lesquels veulent fuir les personnes persécutées », a remarqué avec audace la Première ministre Ewa Kopacz à un mois des élections législatives. Mais, justement, le problème tient au fait que, selon les données officielles de l’Office polonais des étrangers (UDSC), plus de 80 % des personnes qui demandent le statut de réfugié en Pologne quittent notre beau pays avant que les autorités aient eu le temps d’examiner leurs dossiers. Bref, la Pologne n’est pour elles qu’une brève étape sur la route vers l’Ouest. Et les chiffres ont de quoi faire bien rigoler nos voisins allemands : chaque année, l’État polonais attribue environ 200 statuts de réfugié, alors que le pays compte, en tout et pour tout, 188 000 migrants économiques venus principalement d’Ukraine, de Biélorussie, du Viêtnam et de Chine.
Dès lors, les déclarations des uns et des autres concernant l’accueil des migrants ne sont que fanfaronnades. D’une part, on joue à se faire peur en agitant le spectre de hordes sauvages massées à nos frontières. De l’autre, on adore exprimer sa solidarité et sa bienveillance à l’égard des victimes des conflits armés de par le monde. Le souci, c’est que personne ne se presse, ni pour venir couper quelques têtes chez nous, ni pour apprendre la grammaire polonaise. Le salut pourrait venir de l’Union européenne. Pour l’heure, la Commission campe sur sa proposition de répartition des réfugiés, en projetant de « délocaliser » vers les bords de la Vistule quelque 11 000 émigrés depuis les pays submergés tels que la France ou l’Italie. Voilà ce qui donne l’occasion à notre vice-ministre des Affaires étrangères, Rafal Trzaskowski, de montrer ses muscles. Le nombre de réfugiés finalement reçus par la Pologne ne devrait pas, selon lui, dépendre des projets européens en la matière, mais de nos propres exigences. Ainsi, trois conditions seraient non négociables : le renforcement des frontières extérieures de l’Union, la différenciation nette entre les émigrés économiques dont la Pologne ne veut pas et les réfugiés qu’elle se dit disposée à recevoir au nombre de 2 000, enfin, la possibilité de faire vérifier le passé des nouveaux venus par les services de sécurité polonais. Last but not least, avant de négocier avec l’Union européenne, le gouvernement polonais doit négocier avec l’Église polonaise. C’est là que l’affaire se corse.
Car, sans doute involontairement, les migrants ont poussé l’Église de Pologne au bord du schisme. Non pas parce que des prêtres polonais se chargent désormais de « perfectionner » l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ en postant sur internet des messages tels que : « Jésus ne nous aurait certainement pas forcés à héberger quelqu’un qui constitue un réel danger ! » Mais parce qu’une majeure partie du clergé polonais conteste ouvertement le principe de l’infaillibilité pontificale. « Le pape François a tort d’appeler chaque paroisse à recevoir une famille d’émigrés », a-t-on entendu de la part du prêtre Adam Kaczor de Caritas (sic !). Et il n’est pas le seul à considérer avec une défiance maladive ce pape gauchiste à qui on a l’habitude en Pologne d’opposer le défunt cardinal Wyszynski, l’ancien prisonnier du régime communiste. « Ne cherchons pas à nourrir la terre entière, ne cherchons pas à sauver tout le monde, disait ce dernier. Cherchons à préserver la patrie. » Inutile d’expliquer qu’il n’existe pas de meilleur moyen de préserver la patrie qu’en s’opposant à son islamisation par le biais de terroristes déguisés en réfugiés ou même en pape. Amen.
Pour résumer la position de la Pologne face à la crise de l’immigration, rien de tel que de prendre à cœur l’annonce de son gouvernement : « Très certainement, la Pologne se montrera plus solidaire, seulement il faut que ce soit une solidarité responsable, à la mesure de nos moyens. » Les réfugiés l’ont compris d’instinct et continuent à gentiment nous contourner. Quant à vous autres, étrangers européens, vous n’avez qu’à bien vous tenir ![/access]
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21791825_000011.
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