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Du (bon) français pour les migrants


Du (bon) français pour les migrants
Un migrant étudie dans une école montée par des volontaires à Calais, septembre 2016. SIPA. 00773938_000055
Un migrant étudie dans une école montée par des volontaires à Calais, septembre 2016. SIPA. 00773938_000055

Depuis le « contrat d’intégration républicaine » décrété en 2016 par le gouvernement Hollande, le renouvellement des cartes de séjours ne se fait plus seulement pour des durées de quelques mois ou d’un an, mais pour des périodes de quatre ans. Les étrangers concernés n’ont plus à faire plusieurs heures de queue dans le froid devant les préfectures mais sont reçus sur rendez-vous. En contrepartie, le niveau de français minimal requis pour renouveler sa carte de séjour n’est plus de A1.1 comme auparavant, mais de A1 sur l’échelle de CECR, ces niveaux de maîtrise du français s’échelonnant progressivement sur A1, A2, B1, B2, C1 et C2. Mais que signifie tout ce charabia ? Vous avez raison de vous le demander.

Le niveau de français exigé est trop léger

Petite virée dans le monde du FLE (français langue étrangère). Dans la noble aventure de l’enseignement du français aux non francophones, on raffole de sigles et acronymes en tout genre. Le FLE bien sûr, mais aussi le FOS (français sur objectifs spécifiques), le FLI (français langue d’intégration), ou encore le FOU (français sur objectif universitaire). Et le CECR, donc ? C’est le Cadre européen commun de référence pour les langues. Sorte de Nouveau Testament des pédagogues « interactionnistes » des langues étrangères, ce gros document fut conçu par le Conseil de l’Europe (ou CE) pour « harmoniser l’enseignement des langues étrangères » dans l’Union européenne. Ainsi, au niveau A1, l’« apprenant » est capable de dire s’il est sensible à la poésie des films de Jean-Luc Godard par exemple, ou s’il préfère les coups de savate de Jean-Claude Van Damme, et peut aussi parler de la pluie et du beau temps. On doit au gouvernement Hollande d’avoir commencé à prendre l’intégration des nouveaux venus en main en estimant qu’une meilleure maîtrise du français était plus efficace que ce qui était requis auparavant  – le niveau A1.1, où il fallait essentiellement être capable de réciter son état civil et écrire correctement ses noms et prénoms pour faire renouveler sa carte de séjour. Mais est-ce bien suffisant ?

Un coup d’œil chez nos voisins permet une rapide comparaison. En Belgique, pays plus réputé pour ses bières que pour ses exigences d’intégration envers ses étrangers, aucun niveau de langue n’est exigé, et les cours d’éducation civique pour migrants sont assurés dans leurs langues maternelles. En Allemagne en revanche, où comme chacun sait, on a décidé d’accueillir de nombreux migrants l’année dernière, le niveau d’allemand requis pour une carte de séjour de six mois oscille entre A2 et B1. En Finlande, il est quasiment impossible de décrocher un emploi sans parler un minimum finnois. Et puisqu’on parle de français, allons voir chez nos compères francophones d’Outre-Atlantique dont le modèle multiculturel est parfois critiqué par certains dans ces colonnes et célébré par d’autres ailleurs. Figurez-vous que pour travailler au Québec, le niveau de français requis est fixé à B2, un niveau de français fort correct, qui permet de converser politique et de comprendre l’essentiel des articles de Causeur par exemple. Là-bas on ne plaisante pas.

Pas d’intégration réussie sans une bonne maîtrise de notre langue

Revenons chez nous. Dans le cadre du changement du niveau de français nécessaire au renouvellement des cartes de séjour, le gouvernement a eu la chouette idée, avec l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), de fixer au sein même de la formation de français un programme de connaissances de la vie civique et républicaine. Ainsi, le nouveau venu devra savoir qu’ici, il est souhaitable qu’une femme travaille, que les parents doivent nourrir et habiller leurs bambins tout le temps de leur scolarité, que l’on a le droit de caricaturer le prophète sans se faire zigouiller, etc. Mais peut-on vraiment saisir les paroles de La Marseillaise, la notion de laïcité, ou l’histoire de la séparation des Eglises et de l’Etat avec un niveau de français grâce auquel l’utilisateur ne peut comprendre, selon le CECR, que « des noms familiers, des mots ainsi que des phrases très simples, par exemple dans des annonces, des affiches ou des catalogues » ? J’en doute. Et plus encore pour décrocher un emploi.

Je ne souhaite pas que les migrants retournent d’où ils sont venus, surtout s’ils arrivent d’Erythrée, mais puisqu’on a choisi de les accueillir, on doit œuvrer à les intégrer sans faire les choses à moitié. Avec le niveau de français actuellement exigé, beaucoup obtiendront leur attestation de bonne conduite (l’OFII stipule que le seul fait d’avoir été à tous les cours permet d’avoir l’attestation même sans avoir vraiment réussi les examens…) puis retourneront travailler sur leurs chantiers communautarisés entre Serbes, entre Turcs, entre Maghrébins, etc. Où ils n’auront guère l’occasion de papoter en français. Des situations qui ne sont pas tenables tant pour eux que pour le bien du pays. Quatre ans c’est long. On vise l’intégration des nouveaux-venus n’est-ce pas ? Pour que cela marche, ces derniers doivent s’approprier nos valeurs, notre héritage culturel, se sentir chez eux et vivre tous comme nous. Ils doivent donc vraiment maîtriser notre langue, comprendre les péripéties d’Astérix d’abord, puis la presse et les savoureux épisodes du feuilleton Fillon par exemple. Et qui sait plus tard, pourquoi pas comprendre un épais roman d’Emile Zola ?  Dans le jargon du FLE, on considère le niveau A2 comme le niveau « survie ». Le niveau requis actuellement en est encore loin. Mais qui payera les cours ?, me direz vous. L’Etat, bien parti, pourrait s’en charger. Reste à voir si le contribuable – que je suis – serait prêt ou non à partager l’addition.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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