Si Libé l’a décrété, c’est que ça doit être vrai : les « néo-réacs » représentent la nouvelle « pensée unique ». On trouve de tout dans la charrette des accusés, Finkielkraut, Sapir, Onfray, Biraben, comme le note notre chère Elisabeth Lévy dans son édito, « le seul point commun à tous les proscrits est précisément qu’ils sont proscrits » et soupçonnés d’accointances avec la diablesse Le Pen. À force d’être suspecté de pensée satanique par la presse degôche au moindre mot de travers, « on ira tous au pilori » (même moi…), ce qui n’est somme toute pas bien grave car « le succès persistant de Houellebecq, Finkielkraut ou Zemmour laisse penser que plus personne n’écoute les donneurs de leçons et même que leurs proscriptions fonctionnent comme des prescriptions ».
Pour avoir eu le malheur d’envisager un grand front anti-euro qui « à terme » pourrait inclure le Front national, l’économiste hétérodoxe Jacques Sapir s’est fait crucifier comme un vulgaire nazaréen. Ses propos déformés, diabolisés et amalgamés aux positions du FN. Que voulez-vous, le pluralisme n’est pas de saison pour les garde-chiourmes du débat public, comme nous le confirme Benjamin Masse-Stamberger, notre envoyé spécial à Bruxelles qui a sondé la pensée des correspondants français auprès des institutions européennes. Si tous ne sont pas aussi butés que Quatremer et Leparmentier, puisque certains doutent même de l’infaillibilité fédérale, la plupart conspuent de concert l’étroitesse du peuple, désespérément eurosceptique et rance.
Mais entrons dans le vif du sujet. Ce mois-ci, notre dossier « Migrants : la pitié dangereuse » essaie de concilier « devoir d’empathie » et réflexion critique sur l’accueil des réfugiés, comme nous y invite Elisabeth Lévy, laquelle se tient à distance de « la symphonie empathique » que jouent la plupart des médias, sans sombrer dans l’égoïsme national. Difficile exercice d’équilibriste qui consiste à ne pas sacrifier la raison sur l’autel des passions, et réciproquement : dans l’échange épistolaire que nous publions, Alain Finkielkraut et Renaud Camus réinterprètent l’éternelle controverse entre Antigone et Créon, le cœur et la raison, bien que les esprits raisonnables ne soient pas dénués de cœur et les cœurs intelligents s’avèrent également doués de raison. Au chapitre de l’empathie, nombre de nos compatriotes musulmans sont aux abonnés absents, si l’on en croit l’enquête de Pascal Bories dans les mosquées parisiennes, dont les fidèles oscillent entre charité obligatoire et franc scepticisme à l’égard de leurs coreligionnaires syriens. Sans excès de clémence ni de miséricorde, les réfugiés parqués en Serbie et en Hongrie ne rêvent pas tous des valeurs occidentales, comme le montre Pierre Jova, ulcéré par certains de leurs propos faisant l’apologie de l’Etat islamique, voire des attentats contre Charlie.
Revenus dans l’hexagone, nous abordons avec Pierre Manent et Céline Pina l’épineuse question de l’islam de France. Le premier signe Situation de la France, un essai à la thèse retentissante : il faut négocier des accommodements raisonnables avec les musulmans, sans quoi la France périra. Dans un entretien au long cours, l’universitaire le martèle : oui à un « compromis ambitieux » avec les musulmans de France et au voile islamique, non à la burka car il « ne voi(t) pas pourquoi notre forme de vie serait incompatible avec le foulard qui laisse voir le visage ». Céline Pina, conseillère régionale socialiste d’Ile-de-France, s’est récemment élevée contre le Salon salafiste organisé à Pontoise le mois dernier. N’écoutant que son courage de politique isolée au sein de son parti, elle dénonce les leviers clientélistes que ses petits camarades actionnent dans les banlieues en application de la fameuse stratégie Terra Nova (les bobos et les immigrés comme nouveaux réservoirs de voix). Une doctrine qui fera bientôt long feu en ce qu’on ne joue pas impunément avec des allumettes – « les militants identitaires et religieux poursuivent leurs propres objectifs et sont avant tout au service de leur combat ».
Côté culture, Jérôme Leroy saisit l’occasion de la réédition des Œuvres romanesques de Bernanos en Pléiade pour célébrer le romancier qu’occulte trop souvent l’essayiste iconoclaste. Derrière le pamphlétaire génial, se cache un grand lecteur de Simenon, dont les romans sont autant de « thrillers métaphysiques ». Enfin, il est temps de jouer les Potiche avec Pierre Barillet, homme de théâtre co-auteur avec son alter ego Jean-Pierre Grédy des grands succès du boulevard d’après-guerre. Un genre mésestimé que Patrick Mandon réhabilite au fil de son entretien avec ce fringant nonagénaire. De 9 à 99 ans, voire au-delà, il n’y a pas d’âge pour lire Causeur !
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