L’affiche Netflix du film « Mignonnes », depuis retirée, a mis le féminisme intersectionnel à l’épreuve. Dans le film, Amy, 11 ans, s’initie au twerk pour fuir un bouleversement familial.
Les féministes d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier. Les néoféministes ont désormais un combat multiple et transversal. La lutte contre toutes les discriminations et violences faites aux femmes, bien sûr. Mais aussi aux minorités raciales et sexuelles.
Peu leur importe que la police des mœurs ait fait la chasse aux seins nus sur les plages cet été (par erreur, des gendarmes ont effectué des rappels à l’ordre). Si loquaces pour disserter sur les multiples facettes de l’orgasme féminin et sur la pertinence des thèses despentiennes – je baise donc j’existe – les pseudoféministes se sont fait remarquer par leur silence assourdissant sur ce dossier. Nul doute que les féministes des années 70 se seraient rendu sous les fenêtres de Gérald Darmanin, hurler des slogans libertaires. Il n’en fut rien suite à cet épisode. Aujourd’hui, « Sea, Sex and Sun » semble passé de mode. La chanson, gorgée de soleil et d’érotisme « Toi petite tu es de la dynamite » est sûrement déjà inscrite sur la liste arc-en-ciel des œuvres à censurer pour incitation à la pédophilie. Mais venons-en à « Mignonnes ».
Netflix crée le scandale
Nos militantes ont donc haussé le ton lors de la polémique qui a entouré la sortie du film. Tout est parti de l’affiche américaine faite par Netflix pour la promo du film français aux Etats-Unis (voir ci-dessous).
Le film dresse le portrait d’Amy, 11 ans, originaire du Sénégal et qui veut intégrer une petite bande de gamines super populaires, surnommées “les mignonnes”, nom désuet qui tranche avec leur look de Spice Girls. La réalisatrice Maïmouna Doucouré montre l’hypersexualisation de ces préados, à travers le port de vêtements trop sexy pour leur jeune âge. Cette dénonciation prend d’autant de force qu’elle s’ancre sur fond de choc des cultures entre les traditions de la famille sénégalaise, la sexualisation des corps (strings, slims en latex, push up, mini short ras les féfesses etc…), et le libre accès à la culture porno.
La plateforme de streaming a suscité un tollé en montrant ces corps de gamines pré-pubères qui se déhanchent lascivement et miment des positions suggestives, qui renvoient Lolita se rhabiller. L’affiche française représentait ces mêmes jeunes filles revêtues de soutifs et de culottes affriolantes par-dessus leurs habits sautant en l’air dans les rues de Paris, avec leurs mains chargées de sac de shoppings. Accusé de sexualiser les fillettes par les féministes afro américaines, Netflix a depuis supprimé l’affiche problématique.
La colère des militantes
Mais, le mal était fait : Maïmouna Doucouré, est accusée à tort de promouvoir l’hypersexualisation des jeunes filles, alors qu’en réalité son film s’y attaque. Une femme de couleur et réalisatrice cyberharcelée ? Voilà une affaire flagrante de misogynoire, si vous voulez mon avis (néologisme inventé pour qualifier des insultes faites aux femmes noires que je viens d’inventer), mais passons. Nos militantes intersectionnelles sont montées au créneau en France, à commencer par Rokhaya Diallo, la chroniqueuse s’est empressée de dissocier les intentions de la réalisatrice (nécessairement féministe) de l’affiche américaine (jugée forcément sexiste, misogyne ou raciste).
Dans le film, on suit Amy faire sa crise d’ado et se révolter contre sa mère qui doit accepter la polygamie de son ex-mari et faire place à la future épouse dans le domicile conjugal. Cette confrontation entre rigorisme religieux et hypersexualisation s’illustre à travers une scène emblématique où la gamine se cache sous son voile et regarde, subjuguée, une vidéo montrant des femmes en train de twerker. Le twerk est cette danse à la mode, ultra provocante, qui consiste à secouer frénétiquement les fesses, à refermer et à écarter les cuisses tout en se baissant ou encore à se mettre en position de levrette et à secouer le bassin en cambrant le buste. Pendant qu’elle regarde la vidéo, autour d’elle la communauté de femmes musulmanes récitent leurs sourates… Le twerk fascine Amy.
« Le kiff de se bouger le cul consciemment »
Popularisée par des chanteuses américaines comme Miley Cyrus (aussi connue pour ses prestations scéniques avec sex toys géants), le twerk puise ses origines dans les boites de nuit du Sud des États-Unis et notamment dans la communauté afro-américaine, gay et transgenre. La féministe twerkeuse Fannie Sosa définit le twerk comme « le kiff de se bouger le cul consciemment ». Elle présente le twerk comme un outil de revendication identitaire pour les minorités, une manière de réapproprier son corps, en le faisant sortir du carcan “patriarcal”, “blanc” et “hétéronormé”. À suivre ce raisonnement, c’est en sexualisant son corps qu’on pourrait lutter contre l’assignation à son genre et assumer sa couleur de peau.
Tout le film tourne autour de l’apprentissage de cette danse qui respire le sexe. Lorsque les gamines délurées ne hurlent pas leur charabia d’apprenties racailles, elles passent leur temps à perfectionner leur choré pour participer à un concours. C’est donc bien aussi par l’apprentissage du twerk que les gamines s’hypersexualisent davantage, sexualisation qui était reprochée à l’affiche qui était diffusée. Problème : le twerk est le vecteur de l’hypersexualisation des fillettes, dénoncé à grands cris par les néoféministes, par ailleurs. Pour qui veut bien aller le voir, le premier film de Maimouna Doucouré réalise la prouesse de le féminisme intersectionnel face à une nouvelle contradiction, et nos militantes cul par-dessus tête !
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