Payé avec vos impôts et accueilli avec les compliments d’usage par l’ensemble de la presse subventionnée (du Figaro à Libé, donc), l’inénarrable rapport commandé, avalisé par la Halde sur les discriminations n’en finit pas de faire du potin, et c’est très bien.
Si comme l’a pronostiqué l’édito du mensuel Causeur, Ça craque dans le camp du Bien, un jour viendra où les deux coupables de cette agressions textuelle[1. Puisque ces deux cuistres ont outé Ronsard, moi aussi je balance les noms : Pascal Tisserant, maître de conférence « en psychosociologie », et son étudiante Anne-Lorraine Wagner. On peut leur écrire à l’Université de Metz, qui transmettra vos compliments.], qui ont osé écrire : “Certains textes pourraient contenir des stéréotypes. Par exemple, en français, le poème de Ronsard Mignonne allons voir si la rose est étudié par tous les élèves. Toutefois, ce texte véhicule une image somme toute très négative des seniors », rendront le pognon et seront jugés pour recel de détournement de fonds publics, ou mieux, comme le propose mon vieux camarade Michel Renard, pour « crime contre les humanités ».
En attendant ces jours meilleurs, une remarque s’impose : pourquoi Ronsard ? Je veux dire, pourquoi cette fixation sur Ronsard, qui est loin d’être le seul à avoir émis l’hypothèse qu’on était plus baisable à vingt ans qu’à quatre-vingts ; pourquoi dans leur chasse au snark, nos deux gogols ont-ils vu dans la sénophobie la seule discrimination qui appelle d’après eux une mise à jour du corpus ? Pourquoi, hein pourquoi ? Soit ils ont eu les chocottes d’un procès, et dans ce cas avec Ronsard c’est bordé. Soit ils attendent une rallonge budgétaire de Tonton Schweitzer et de Tata Pécresse pour décliner ad nauseam la liste multimédias des ouvrages et auteurs à proscrire.
En cette période de crise, c’est donc avant tout dans le souci de ne pas aggraver la dépense publique que je me suis proposé de dénoncer, bénévolement, quelques ouvrages logiquement destinés à l’autodafé. Pour plus de clarté, nous procéderons discrimination par discrimination
Les personnes d’âge différent, tout d’abord, Ronsard est loin d’être le seul à les avoir diffamées. Que nous dit Jacques Brel dans Les Vieux ?
« Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit…
Et s’ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C’est pour suivre au soleil l’enterrement d’un plus vieux, l’enterrement d’une plus laide… »
On notera au passage une agression contre les personnes supposées laides. Un racisme peut en cacher un autre. Comme je parlais de ce scandale à Elisabeth, qui mieux que moi connaît la chanson, elle a attiré mon attention sur un autre intouchable made in France, Brassens, dont Les trompettes de la renommée tombe carrément sous le coup des lois en vigueur :
« Sonneraient-elles plus fort, ces divines trompettes,
Si, comme tout un chacun, j’étais un peu tapette,
Si je me déhanchais comme une demoiselle
Et prenais tout à coup des allures de gazelle ?
Mais je ne sache pas que ça profite à ces drôles
De jouer le jeu de l’amour en inversant les rôles,
Que ça confère à ma gloire une once de plus-value,
Le crime pédérastique, aujourd’hui, ne paie plus. »
Comme dirait le même, le temps ne fait rien à l’affaire, cinquante ans plus tard, on retrouve des horreurs similaires chez MC Jean Gab’1. Celui-ci, après avoir qualifié dans Paname Monsieur le maire de « Première tafiole de France », explique tranquillement dans Mes 2 Amours :
« Faut esquiver le Marais
Faute d’avoir mal à la raie. »
Dégueulasse, non ? D’ailleurs qui n’aime pas les gays n’aime pas les humains, et plus spécialement les humaines. La preuve par Baudelaire dans Fusées : « Nous aimons les femmes à proportion qu’elles nous sont plus étrangères. Aimer les femmes intelligentes est un plaisir de pédéraste. »
Flaubert ne vaut guère mieux : « Les cœurs des femmes sont comme ces petits meubles à secret, pleins de tiroirs emboîtés les uns dans les autres ; on se donne du mal, on se casse les ongles, et on trouve au fond quelque fleur desséchée, des brins de poussière – ou le vide. » (L’éducation sentimentale)
Le douloureux sujet des discriminations ethniques mériterait un rapport à lui tout seul : judéophobie chez Voltaire, négrophobie chez Hergé, jaunophobie chez Duras. Quant à l’islamophobie, elle s’est hélas insinuée partout, même chez les auteurs qu’on eut pu croire irréprochables, même dans le noyau dur de la doxa humaniste. C’est le cas par exemple de Jean Jaurès, dont le laxiste rapport de la Halde dit pourtant beaucoup de bien. Voilà un exemple de sa prose : « Quelle doit être notre ambition ? Que les Arabes et les kabyles, commandés par des officiers français, servent à la garde et à la police de l’Algérie, de telle sorte qu’une bonne partie de l’armée d’Afrique puisse, en cas de péril, aller à une autre frontière ; qu’ils entrent peu à peu dans nos mœurs politiques et participent à l’administration de rares affaires, enfin qu’ils deviennent le plus possible des producteurs. Mais si nous n’enseignons pas le français aux plus intelligents d’entre eux, comment pourrons-nous les subordonner à nos officiers ? » (Discours pour l’Alliance française, Albi, 1884, cité par Raoul Girardet : Le nationalisme français, Seuil, 1983.)
Accablant, non ? Franchement, alors que les rayons plaqués érable de nos Billy de chez Ikéa sont truffés de livres, cd et dvd pathogènes, quelqu’un peut-il me dire pourquoi la Halde, qui a montré la voie, s’est arrêtée au milieu du chemin ? On aurait espéré, pour le moins, une garantie de bonne fin. Et on n’ose pas écrire que c’est du travail d’arabe, de crainte de léser les blacks. La semaine prochaine, nous parlerons (en braille) des discriminations contre les aveugles, enfin, contre les minorités non-voyantes.
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